Intervenant dans l’émission Cartes sur tables de Ndimba Radio (100.1 FM), vendredi 17 décembre, Dr Amadou Tounkara, chargé de communication de l’Association des victimes du camp Boiro, s’est indigné par rapport aux derniers actes posés par le CNRD à l’honneur du feu président Ahmed Sékou Touré.
NDIMBA RADIO : Quel commentaire faites-vous des derniers actes pris par le Colonel Doumbouya du CNRD en faveur de la famille Sékou Touré ? On lui a retourné les villas Bellevue, et désormais, l’aéroport de Conakry s’appellera Ahmed Sékou Touré !
Dr Amadou Tounkara : Sékou Touré et ses compagnons ont pris le pouvoir. L’idéologie c’était le peuple. Ils se battaient tous pour le peuple. Il y a des compagnons de Sékou Touré qui ont donné plus que les Cases de la Bellevue à la Guinée. Qui ne le réclament pas : Elhaj Mamadou Fofana a donné à l’Etat guinéen, la commune de Dixinn, le terrain, la permanence fédérale. Ses enfants ne réclament pas aujourd’hui la commune de Dixinn. Fodeba Keita a donné les ambassades de Guinée à Paris et à Dakar à la Guinée, ses enfants, comme c’est leur papa qui a donné ces biens, ils ne réclament pas. Sékou Touré a mis à la disposition de l’Etat guinéen, les cases Bellevue [le domaine]. L’Etat guinéen a construit les cases, l’Etat guinéen les a modernisées. Aujourd’hui la famille de Sékou Touré réclame les cases, c’est pour eux. Mais en principe, l’idéologie de Sékou Touré qui n’était pas basée sur l’enrichissement ; l’idéologie de Sékou Touré qui a appauvri les Guinéens, la famille de Sékou Touré ne devrait pas réclamer ces cases. Parce qu’aucun compagnon de Sékou Touré ne s’était enrichi dans le vrai sens du mot. C’est après que Sékou Touré se soit fait appeler responsable suprême de la révolution, qu’il ait retourné le pouvoir dans son clan, que ses frères se sont enrichis. Il faut le savoir. Les cases Bellevue appartiennent à Sékou Touré. Mais les cases Bellevue ont été reconstruites et modernisées par l’Etat guinéen.
Condamnez-vous que l’Etat retourne ces biens à la famille ?
Je vous donne un exemple. La villa Sily de Coleah a été rénovée et restituée par le président Conté. Le président Conté a assuré une pension à la veuve Sékou Touré. Henriette Conté [la veuve de Lansana Conté] et Hadja André Touré[la veuve de Sékou Touré] marchaient ensemble les mains dans les mains. Ce problème ne s’est pas posé en ces temps. Ce problème se pose maintenant. Nous ne sommes pas contre. Je suis un être humain. Je me bats pour moderniser les conditions de vie, c’est normal. Mais si mon papa avait mis à disposition un de ses biens à quelqu’un, je pense que je serais gêné de réclamer ces biens. Surtout à l’Etat guinéen. Surtout à l’homme qui se faisait appeler l’homme du peuple.
Désormais l’aéroport international de Conakry Gbessia, s’appellera l’aéroport Ahmed Sékou Touré. Qu’en pensez-vous ?
Nous avons été beaucoup surpris par ce décret. Parce que les premiers mots du Colonel Doumbouyah, étaient basés sur la justice sociale, la refondation de l’Etat, la justice ; selon la charte de la transition, c’est le CNT qui devait être l’organe de souveraineté nationale. C’est le CNT qui devait décider tout. Depuis 1985, nous nous battons pour la réconciliation nationale. La réconciliation impose une commission vérité, justice, réconciliation : pourquoi vérité ? Pour que l’on sache effectivement ce qui s’est passé, rendre justice, ce n’est pas une justice de vengeance ou la justice d’un vainqueur, mais une justice transitionnelle. Pour que l’on sache effectivement ce qui s’est passé, pour ne plus que notre société connaisse ce qui s’est passé. Le président Alpha Condé avait mis sur pied une commission provisoire de la vérité, justice, réconciliation. Cette commission avait été financée par les organisations onusiennes et a fait une enquête sur le plan national par rapport à la réconciliation. Un rapport a été édité et publié. Et il existe. Notre combat depuis 1985, on souhaiterait qu’il y ait une suite dans les actes. Après cette commission provisoire, qu’on ait aujourd’hui une véritable commission de réconciliation nationale pour qu’on sache ce qui s’est passé pour éviter au pays d’avoir à sa tête un dictateur, un manipulateur, un tyran, un criminel. C’est ça l’objectif.
Vous ne pensez pas que ces deux actes posés concourent à apaiser et nous mènent vers la réconciliation ?
Je souhaite que l’on abonde dans le cadre de la justice. Je ne veux pas que l’on me fasse plaisir. C’est un problème de mémoire. Je ne veux pas qu’on fasse plaisir à X, Y ou Z. Je souhaite que le truc soit éthique et qu’il y ait une commission structurée et civilisée qui fasse ce travail. Ce qui se passe en Guinée ne se passe dans aucun pays de la sous-région. Il faudrait que l’on cherche à vivre comme les autres.
Qu’est ce qui se passe en Guinée et qui ne se passe nulle part ailleurs ?
Regardez aujourd’hui ce qui se passe au niveau des réseaux sociaux. Les communautés qui sont opposées les unes contre les autres. En 1958, il y avait une famille. En 1958, la Guinée représentait une nation. Et les compagnons de l’indépendance l’avaient réussi. Mais de 1958 à 2021, c’est un recul en matière d’unité nationale. Mon objectif, moi, c’est l’unité nationale.
Ce que nous réclamons a eu lieu dans beaucoup de pays : en Côte d’Ivoire, au Togo, au Maroc, il y a eu la commission vérité, justice, réconciliation. On ne réinvente pas la roue. Il faudrait que l’on s’asseye pour dire ce qui s’est passé. Oui toi tu as fait ça, c’est bon ! toi tu as fait ça, ce n’est pas bon. On ne cherche pas à juger ou à blâmer. Mais tu ne peux pas faire de mal et après que la lumière soit jetée sur toi comme si tu étais le meilleur. Sékou Touré a mené le pays à l’indépendance. Ça c’est incontestable. Mais la gestion de l’indépendance a été catastrophique.
Est-ce que vous pensez que le CNRD est dans une démarche de réhabilitation de feu Ahmed Sékou Touré ?
Je ne souhaite pas que ce soit fait de la façon. En plus, j’insiste sur le fait que ce soit fait de façon éthique et de façon équitable. Que ce ne soit pas une décision unilatérale. Que la refondation de l’Etat soit vraiment une réalité. On ne peut pas avoir des victimes de l’Etat et que les gens qui sont responsables de ces violations sur les populations, qu’on leur jette la lumière pendant que les victimes sont dans les fosses communes.
Est-ce que c’est une façon pour vous de dire que donner le nom de l’aéroport de Conakry à Ahmed Sékou Touré n’est pas éthique ?
Le président Sékou Touré ne mérite pas cet honneur. Le président Sékou Touré jusqu’à preuve du contraire a commis des crimes. Celui qui a commis des crimes est un criminel. Et si nous donnons tous les honneurs à un criminel, c’est que le crime va continuer dans notre pays. C’est dommage.
Une synthèse faite par Abdou Lory Sylla pour guinee7.com