Par ces temps d’ébola, notre économie n’est pas très bien portante, pour ne pas dire, est mal en point. Le ministre de l’Economie et des Finances, M. Mohamed Diaré, le reconnait même s’il utilise des mots plus édulcorés « l’économie se trouve dans une situation difficile », affirme-t-il dans cette interview avec guinee7.com.
Guinee7.com: Est-ce que vous pouvez nous faire le bilan de santé de notre économie?
Écoutez, notre pays, par conséquent, notre économie fait face aujourd’hui à une crise sanitaire qui a des répercussions sur l’ensemble de l’économie. La fièvre Ébola, c’est une question de santé publique, cela a causé beaucoup de pertes en vies humaines, mais à côté de ça, tous les secteurs d’activités de l’économie ainsi que les finances publiques ont été affectés.
Nous avons projeté en début d’année une croissance économique de 4,5 pour cent pour 2014 et un taux de pression fiscale qui avoisinait les 20 pour cent ; un taux d’inflation de 8,5 pour cent contre 10,5 pour cent en 2013 et aussi un niveau élevé des dépenses d’investissement.
Ce qui s’est passé, c’est qu’avec l’impact de l’épidémie d’Ébola, on a constaté un ralentissement de l’économie vu que certains secteurs sont fortement affectés ; le secteur sanitaire bien sûr, l’agriculture au niveau justement de l’épicentre, la Forêt, il y a aussi le secteur des transports que ce soit maritime ou aérien et même terrestre, il y a le tourisme surtout le segment de hôtellerie…
Il y a aussi les finances publiques. Donc, on a été obligé de baisser le taux de croissance successivement à 3, 5 ; à 2, 4 puis à 1,3 pour cent en 2014. Le taux d’inflation qui était projeté à 8,5 pour cent, on était obligé de l’augmenter d’1 point, donc à 9,5 pour cent. Parce qu’avec le ralentissement des voyages d’affaires et aussi des transferts d’argent qui vont dans le sens du financement des projets, certains projets ont été arrêtés et ça joue une influence un peu négative sur les réserves de change. Donc nous avons été obligés de revoir le taux d’inflation un peu à la hausse d’ici la fin de l’année 2014.
Mais en même temps, nous avons constaté une très forte baisse d’activités que ce soit au niveau de la fiscalité intérieure que de la fiscalité de porte. Donc, nous avons été obligés de revoir les recettes du budget de l’Etat à la baisse. On a été obligés de baisser à près de 837 milliards de GNF, près de 120 millions de dollars, les revenus de l’Etat pour 2014. Au même moment, on a augmenté les dépenses liées d’abord à la riposte et à d’autres dépenses récurrentes qui ont permis d’augmenter le volume de dépenses globales de l’Etat en 2014.
Donc, baisse de recettes, augmentation de dépenses, creusement de déficit. Globalement, notre économie se porte un peu bien, parce que nous sommes dans un programme économique et financier avec le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale et nous avons effectué la semaine dernière la cinquième revue. Sur le plan technique, on s’est rendu compte que tous les objectifs sur le plan quantitatif et structurel en fin juin 2014 ont été respectés. Les perspectives pour fin décembre sont bonnes, parce que les objectifs indicatifs en fin septembre ont été respectés.
Donc, l’économie se trouve dans une situation difficile, mais nous poursuivons quand même les efforts de stabilisation du cadre macroéconomique, nous poursuivons les efforts de réforme structurelle, nous poursuivons les efforts de développement de certains secteurs prioritaires tels que l’énergie, les mines, l’agriculture, mais aussi des autres secteurs qui bénéficient des ressources de l’Etat.
Vous avez dit que vous avez baissé les prévisions des recettes et que vous avez augmenté les dépenses, pourtant le citoyen ordinaire pense que vous n’avez pas besoin d’augmenter les dépenses, en tout cas du côté de l’Etat, vu que la lutte contre Ébola est soutenue de dehors, par les partenaires…
C’est l’impression, il y a le concours de tout le monde. Il y a le leadership du chef de l’Etat, le Pr Alpha Condé, il y a l’accompagnement de la communauté internationale que ce soient les partenaires bilatéraux ou multilatéraux et aussi les opérateurs économiques privés guinéens et aussi des particuliers guinéens qui ont tous montré leur bonne volonté, leur soutien, en finançant une partie du budget de la riposte. Mais aussi, il y a la participation de l’Etat, des finances publiques. Nous avons mis en place un budget qui s’élevait dans un premier temps à 10 milliards de GNF, mais ensuite nous avons ajouté une valeur de 5 millions de dollars, ce qui a fait donc un peu plus de 35 milliards de GNF.
Donc, effectivement, le fait que la dépense soit augmentée, une partie est supportée par le budget de l’Etat lui-même, l’autre par un accompagnement massif de la communauté internationale que ce soient la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, l’Union Européenne, les pays développés tels que la France, l’Allemagne, la Chine, l’USAID à travers les États Unis. Je pense que tous les partenaires ont participé au financement de cette riposte.
On a pensé que l’économie ne devrait pas trop souffrir de cette épidémie parce qu’on a eu, si je ne m’abuse, des aides budgétaires notamment celles de la Banque Mondiale, aujourd’hui (25 novembre, NDLR)
Oui, ce n’est pas parce qu’on a l’aide budgétaire que l’économie ne va pas souffrir très fortement. Je pense justement que c’est l’appel que nous avons lancé, l’appel que les autorités ont lancé et la mobilisation de la communauté internationale pour venir en appui aux pays qui sont victimes de cette épidémie. C’est dans ce cadre qu’on a signé une convention de dons et de prêt, d’un appui budgétaire global de 50 millions de dollars avec la Banque Mondiale.
Qu’est ce qui s’est passé ? On a constaté qu’avec l’impact de l’épidémie, il faut des montants pour la riposte, il faut surtout soutenir la réforme et le renforcement du système de santé, mais également il faut un appui budgétaire à l’Etat pour compenser les pertes des recettes et l’augmentation des dépenses. Donc, cela permet effectivement d’atténuer l’effet négatif, les chocs liés à l’impact de la maladie. Si ces appuis ne venaient pas, la situation budgétaire des finances publiques allait être plus grave.
Souhaitons que cela finisse très vite, et si cela finissait au mois de décembre, comme le souhaite le chef de l’Etat; comment allez-vous vous y prendre pour relancer l’économie ?
Nous sommes en train de rassurer nos partenaires que les dispositions sont prises, comme le chef de l’Etat l’a dit, pour que l’épidémie puisse être sous contrôle et éradiquée le plus vite que possible à la fin de l’année 2014. Et nous avons des objectifs de croissance pour 2015. Nous voulons que les secteurs qui sont les moteurs du développement, par exemple les mines, que les projets miniers qui sont en cours de préparation et de développement puissent être relancés le plus rapidement possible. Et cela va donner un tonus à l’économie.
Également, nous allons renforcer le soutien au secteur de l’agriculture, pour maintenir la cadence de croissance qu’on a constatée depuis trois ou quatre années au niveau de ce secteur. Nous sommes en train de mettre les bouchées doubles pour améliorer de manière significative la desserte en électricité en 2015, d’abord en améliorant les capacités actuelles et ajoutant à cela la venue de Kaléta sur ce réseau. Donc si on combine tous ces éléments au niveau de l’ensemble de ce secteur, nous pensons que l’économie peut redémarrer rapidement en 2015, pour que nous ayons une croissance plus forte que lors des deux dernières années.
Vous parlez bien souvent de cette croissance, et pourtant bien avant l’épidémie Ébola, la Guinée a été admise à l’initiative PPTE, vous parliez aussi de croissance ; certains disaient dans la rue que la croissance, ça ne se mange pas, surtout que la pauvreté ne semblait pas reculer…
Je pense que chacun a peut-être raison, mais même si on ne mange pas la croissance, c’est pourtant la croissance, si elle est forte et soutenue, qui peut lutter contre la pauvreté. Parce que quand vous parlez de croissance, vous parlez de création de richesse ; la croissance du produit intérieur brut correspond à la création de richesse au cours d’une année donnée.
Donc, plus vous créez la richesse, plus vous réduisez la pauvreté. Nous, nous nous battons pour plus de création de richesse avec une redistribution à peu près équitable pour l’ensemble de la population. Donc, je crois que ce sont les réformes que nous avons menées en 2011, 2012 qui nous ont permis d’atteindre le point d’achèvement de l’initiative PPTE qui a été synonyme d’annulation de la dette. Qu’est-ce qu’il faut comprendre dans cette annulation de dette ? Ça vous ouvre bien-sûr la possibilité d’avoir un volant de trésorerie additionnel, parce qu’au lieu de payer la dette, vous vous refinancez vos dépenses d’investissement. Il faut savoir que cette dette devait être remboursée sur une période de 10, 20, 30, 40 ans.
Ce sont les échéances mensuelles, annuelles de ces remboursements de dette qui vont vous permettre de refinancer vos dépenses d’investissement. Quand on dit qu’on a été allégé de 2,3 milliards de dollars de dettes, ça ne veut pas dire que vous allez avoir le bénéfice d’utiliser ces 2,3 milliards au cours d’une année. Non. Le bénéfice est étalé sur 10, 20, 30, 40 ans. Ça nous a permis quand même d’atteindre le point d’achèvement, de payer moins de dettes. Si on avait l’habitude de payer 150 millions de dollars par an, on ne paye que 60, 65 millions de dollars. Donc, la différence, c’est ce qu’on a utilisé pour accroitre le volume de dépenses d’investissements.
Vous parlez plus de la dette extérieure que de la dette intérieure. Cependant, on pense que c’est ce qui peut créer de la richesse, de l’emploi au niveau des populations…
On ne parle pas seulement de la dette extérieure, on parle aussi de la dette intérieure. Mais vous avez raison, la dette intérieure, qu’est-ce qu’on a fait ? C’était en deux catégories. La première, c’étaient les contrats qui ont été gelés sur la période 2009, 2010 qui ont fait l’objet de dégel pour certains et d’autres ont été purement et simplement annulés. Vous savez, les procédures de passations n’ont pas été respectées. Donc, nous avons dégelé certains marchés et nous les avons renvoyés au niveau des départements ministériels, en leur donnant la possibilité d’exécuter comme priorité dans leur budget les contrats qui ont été dégelés.
Certains ont déjà commencé à exploiter ces contrats. L’autre catégorie, ce sont d’autres dettes qui ont été contractées aussi. Certaines par suite de non-respect de procédures malheureusement et d’autres par suite de conflits, de dommages causés par l’Etat. Donc l’Etat est condamné et on lui demande d’y faire face. Nous avons un stock important. Mais qu’est-ce qu’on a dit en 2011, 2012 ? C’est qu’il fallait procéder à un audit de cette dette intérieure. Il y a eu un premier appel d’offres qui a été infructueux et aujourd’hui, nous sommes presque à la fin du processus d’appel d’offres.
On a retenu un cabinet et je vais d’ailleurs donner un avis de non-objection à l’AFD qui a organisé cet appel d’offres et qui d’ailleurs va financer le cabinet qui a été retenu pour auditer cette dette intérieure. Je pense que nous avons un délai très court pour que le cabinet puisse nous dire ‘’oui, nous avons regardé votre dette intérieure, nous avons retenu 1, 10, 15 pour cent’’. Ça dépend de ce que le cabinet va nous proposer. Et ensuite, au vu du volume d’acceptation de ce cabinet d’audit, nous allons essayer de rembourser au fur et à mesure ces dettes.
Est-ce qu’on a déjà eu une idée chiffrée de cette dette ?
Non malheureusement, j’attends la fin de l’audit.
Je me rappelle une fois que le chef de l’Etat disait que le ministère des Finances était une sorte de Bastille. Est-ce qu’on peut dire que vous, vous avez cassé les portes de cette Bastille ?
Ce que je sais, c’est que nous avons essayé de raccourcir certaines procédures de soumissions de marchés, de passation de marchés, d’exécution de la dépense, de gestion de la trésorerie. Je crois que le ministère des Finances peut souffrir de la lenteur et aussi de certaines insuffisances qui sont créées ailleurs. Que ce soit au niveau des entreprises, des opérateurs, également au niveau de certains services publics de l’Etat. Comme il est en aval, ce qui se passe en amont n’est pas souvent visible. Les dernières opérations qui sont visibles et qui sont imputées au ministère, si je prends l’exemple du payement d’une redevance ou de quelque chose comme ça, le dossier doit être monté par un ministère. Le ministère devrait le faire, il y a trois mois de cela, mais il ne le fait pas et trois mois après, l’échéance de payement arrive, il y a précipitation et le dossier est traité et envoyé au ministère des Finances après les trois mois. Et comme nous sommes dans un cas de délai, dès qu’il y a deux, trois jours au ministère des Finances, on pense que c’est le ministère des Finances qui a retardé le dossier depuis trois mois. Nous avons essayé d’identifier tous ces goulots et commencé à y mettre fin petit à petit.
Vous avez un rôle transversal au niveau de tous ces ministères, mais est-ce qu’ils le comprennent vraiment, est ce qu’ils vous associent ?
Absolument, et on tient beaucoup de réunions sectorielles avec les ministères. Je pense qu’il y a une bonne compréhension entre nous et les départements ministériels. Je pense que c’est ensemble que nous agissons.
On a comme l’impression que les recettes minières vous échappent?
Pas du tout. Les recettes minières ne nous échappent pas. Les comptes du Trésor en font foi et aussi le volume encaissé depuis le début de l’année en fait foi. Non, les recettes minières ne nous échappent pas.
On a un gap sur ce plan, parce qu’on sait que depuis près de deux ans, l’usine de Fria est fermée. Est-ce que vous avez un plan de relance pour cette usine?
Je pense que dans le plan d’action du ministère des Mines, il y a plusieurs actions à mettre en œuvre. Que ce soit la reprise de Friguia ou les autres grands projets. Je ne peux pas m’aventurer sur cette question, mais je sais que le ministère des Mines s’attelle à ce qu’il y ait une solution au niveau de l’usine de Fria.
Là, on parle de l’argent et qui parle d’argent parle du ministère des Finances, l’usine est fermée, on a plus de taxes, c’est un autre côté de la croissance qui est touché….
Oui bien-sûr, le fait que Fria ne produit plus joue sur la croissance. Mais je crois qu’au-delà de la croissance, il faut sauver cette entité pour que nous puissions sauver les emplois des Guinéens. Parce que le but ultime, c’est la réduction de la pauvreté et on ne peut pas réduire cette pauvreté en créant beaucoup de chômeurs. Donc, pour nous, il faut d’abord sauver les emplois des uns et des autres et puis voir comment renflouer les caisses de l’Etat.
On a Ébola, le cours des matières premières dégringole, il y a d’autres problèmes encore. Est-ce qu’avec tout ça, vous êtes optimiste pour notre économie?
Oui, il faut être optimiste. Vous savez sans espoir, il n’y a pas de vie.
Oui, mais sur quoi est basé votre optimisme ?
Mon optimisme se base sur la fin d’Ébola. Nous sommes en train de mettre tout en œuvre pour que cette épidémie s’arrête en début d’année 2015. Donc, il y a déjà un espoir parce que la communauté internationale nous assiste et le chef de l’Etat est déterminé pour que toutes les mesures soient prises afin que l’épidémie s’arrête. Ensuite, nous avons beaucoup de programmes de développement que nous avons sous la main, que ce soit au niveau du secteur de l’énergie, de l’agriculture ou des grands projets miniers, mais aussi dans d’autres secteurs. Et avec l’amélioration du climat des affaires, on sait qu’il y a des réformes au niveau de la justice qui avancent, le Conseil Supérieur de la Magistrature est déjà mis en place, les réformes au niveau du secteur de la sécurité et de la défense ont porté leurs fruits, ça avance. Nous avons gagné plus de 5 points dans le classement Doing Business. Je pense qu’on peut garder espoir. Dès que nous allons stopper Ébola, l’économie va repartir de plus fort, inch Allah.
Interview réalisée par Ibrahima S. Traoré