Docteur en psychologie cognitive et spécialiste du Développement de la Petite Enfance, Ibrahima Giroux est un Sénégalais bon teint. Ex-chargé de programme Petite enfance à Unicef-Sénégal (2018-2022) et ancien président de l’Association du Personnel sous-régional, Ibrahima Giroux vient d’être licencié par Mme Hannan Sulieman, Directrice exécutive adjointe chargée de la gestion des Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) basée à New-York. Ce, pour avoir trop dénoncé voire trop parlé comme disent les Ivoiriens. Il a débarqué au pas de charge dans les locaux du « Témoin » à Dakar pour mettre à nu un système onusien gangrené par un racisme dont sont victimes les Noirs particulièrement les Noirs africains ! Entretien exclusif avec un ancien fonctionnaire onusien qui n’a pas sa langue dans sa poche.
Le Témoin : Pour quelles raisons avez-vous été licencié du système de l’Organisation des Nations unies (Onu) ?
Ibrahima Giroux – J’ai été licencié du système de l’Organisation des Nations-Unies (Onu) pour avoir pris mon courage et ma dignité à deux mains en dénonçant les cas de racisme dont les Noirs africains y sont victimes. J’ai aussi dénoncé la haine et la ségrégation raciale au sein de l’Unicef-Sénégal dont sont aussi victimes les Noirs africains que nous sommes. Malheureusement, toutes mes plaintes et autres lettres de dénonciation de cas de racisme destinées au Secrétaire général des Nations Unies, M. Antonio Guterres, ont été bloquées voire purement censurées par Mme Hannan Sulieman, Directrice exécutive adjointe chargée de la gestion du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef). Non contente d’avoir censuré mes courriers, Mme Hannan Sulieman m’a arbitrairement licencié. Donc vous conviendrez avec moi que la dame m’a licencié pour avoir dénoncé le racisme systémique et la ségrégation raciale au sein de l’Onu, et particulièrement l’Unicef-Sénégal.
Comment Mme Hannan Sulieman a-t-elle réussi à déclencher la procédure de votre licenciement ?
D’abord, elle m’a envoyé en congé forcé de deux mois. Avant même la fin du congé, elle m’a coupé l’internet c’est-à-dire l’accès aux réseaux professionnels de l’Unicef. Ensuite, elle m’a interdit l’accès au bureau de l’Unicef avant de couper mon salaire. C’est ainsi que j’ai été viré sans aucune lettre motivant ce licenciement. Et pourtant, le Secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, ne cesse d’inviter les peuples à combattre le racisme sous toutes ses formes. Ce alors sa propre Organisation pratique la discrimination et le racisme à outrance. Ce sont des discours biaisés.
Comment avez-vous intégré l’Unicef ?
D’abord, permettez-moi de rappeler que j’ai travaillé au ministère sénégalais de la Petite enfance en qualité de conseiller technique. J’ai aussi travaillé comme consultant à la Banque Mondiale, à la Koica et à l’Agence Coréenne pour la Coopération Internationale. Compte tenu de mon parcours professionnel et mon expérience, j’ai postulé avec succès au système des Nations Unies. C’est ainsi que j’ai intégré l’Unicef -Sénégal en 2017. Et dès novembre 2019, j’ai été élu Président de l’Association du personnel avant d’occuper plusieurs postes de seconde zone contrairement aux « Blancs » européens, américains et autres asiatiques. Et le 28 janvier 2022, j’ai été licencié alors que mon contrat devait prendre fin 31 décembre 2022. Avant d’intégrer le système des Nations Unies, certains de mes ainés m’avaient pourtant averti que je regretterai un jour d’avoir rejoint l’Unicef à cause du racisme endémique et systémique qui y sévit. Aujourd’hui, l’histoire leur a donné raison parce que mes frères africains et moi avons subi toutes sortes d’actes de racisme. Comme partout dans les bureaux et organisations de l’Onu, les Noirs, particulièrement africains, sont réduits à leur plus simple expression « négrière ». Malgré leurs diplômes et leurs compétences, ils ne sont que des faire valoir. Durant les années passées au sein de l’Unicef, je n’ai cessé de dénoncer le racisme, la haine et la ségrégation raciale à travers des courriers adressés aux chefs d’Etat africains. Des plaintes et complaintes pour que nos dirigeants africains défendent leurs compatriotes onusiens tout en ayant un droit de regard sur les postes insignifiants qu’ils occupent depuis la création de l’Onu. Malheureusement, aucun chef d’Etat africain n’a eu à évoquer le racisme au cours d’une Assemblée générale des Nations Unies à New-York. Souhaitons que cette année, le président Macky Sall, en sa qualité de président de l’Union africaine, dénonce et condamne les cas de racisme isolés ou flagrants dont sont victimes les Noirs particulièrement les Noirs africains. D’ailleurs, le président Macky Sall aura, demain jeudi, l’occasion de faire un réquisitoire contre le racisme lors de la journée internationale de l’enfant africain que l’Unicef va célébrer. Une fête en mémoire des jeunes de Soweto injustement assassinés par le régime criminel de l’Apartheid en Afrique du Sud. Ce alors que l’Unicef fait pire que l’Apartheid. Parce que du temps de l’Apartheid, les Noirs résistaient, mais à l’Unicef, il n’y pas de résistance. Car toute résistance, même verbale, provoque un licenciement.
Comment jugeriez-vous l’expérience que vous avez vécue à Unicef ?
Une organisation toxique ! Aucune des organisations que j’ai pratiquées n’égale l’Unicef en termes de toxicité, et en hypocrisie institutionnelle et en racisme systémique anti-Noirs. Les termes mêmes utilisés pour désigner les fonctions rappellent tragiquement l’esclavage et la colonisation. On a des « chefs » de Section Occidentaux surpuissants mais parmi les moins qualifiés. Pour rester en phase avec l’injustice et le racisme, qui sont paradigmatiques et inscrits dans l’Adn de Unicef, ils sont obligés à n’importe quel prix de se persuader qu’ils doivent nous être supérieurs. Dans cet agenda de domination raciale, ils génèrent et maintiennent la peur et la convoitise, bafouent la dignité humaine des staffs noirs et se prennent des photos avec nos plus hautes autorités. Je n’ai jamais vu l’hypocrisie érigée à ce point en modèle de management qu’au sein de l’Unicef.
Pouvez-vous nous donner une petite idée attestant le racisme systémique au sein de cette organisation onusienne ?
De nombreux cas, j’en ai vus et vécus ! Car le racisme au sein de l’Onu en général est un système parfaitement bien huilé de destruction de vies en toute impunité. J’aime à citer le Secrétaire Général des Nations-Unies, M. Antonio Guterres, qui disait ceci le 17 novembre 2020 : « Une grande partie du racisme actuel est profondément ancrée dans des siècles de colonialisme et d’esclavage…..Soyons honnêtes : nous avons parfois été lents à reconnaître l’existence du racisme au sein des Nations Unies… » Le rapport global 2021 contre le racisme et la discrimination raciale à l’Unicef relate des cas de racisme anti-Noirs. Par exemple, vous entendrez leur faux argument, ils diront que les internationaux sont minoritaires en pourcentage du personnel. En réalité, il faut regarder le pourcentage d’occidentaux aux postes de décision stratégiques. Plus de 90 % des postes de décision sont occupés par des non-Africains et aucun Africain noir n’est à un poste de décision stratégique. Vous verrez aussi une surprésence des Français dans les postes de décision stratégique des pays de l’Afrique de l’Ouest et du Centre. On dirait que nous sommes dans des territoires sous colonisation française. Au bureau de l’Unicef-Sénégal situé aux Almadies (Dakar), je peux vous citer l’exemple d’une insultante discrimination dans laquelle une collègue sénégalaise a été déplacée de son bureau au 3ème étage vers un bureau au 2ème étage. Pendant tout le temps qu’elle était au 3ème étage, elle avait demandé en vain qu’on lui mette la clim car c’est un bureau sans fenêtre. Une fois la sénégalaise « noire » déplacée, le management a installé un international « blanc » dans ce bureau du 3ème en prenant soin d’y installer une climatisation de fort turbo. Je peux également vous citer le cas le plus dramatique. Il concerne le Chef de la Section Communication, un Djiboutien qui a été méthodiquement attaqué par la représentante, ses adjoints et les chefs de section Education et Protection. La chef de Section Protection « Une européenne » se permettait même d’aller vers les collègues de la Communication pour leur dire que leur chef à savoir le Djiboutien était un incapable. Je suis témoin de cette triste scène. Donc, un solide mécanisme qui maintient le racisme depuis le bureau de l’Unicef à New York.
Le secrétaire général de l’Onu est-il vraiment au courant de ces actes de racisme ?
Au delà du Secrétaire général de l’Onu, mêmes les dirigeants africains sont informés. Malheureusement, toutes les plaintes sont délibérément censurées. Cela assure une parfaite impunité aux managers occidentaux dans leurs crimes. Pour preuve, le 26 novembre 2020, mes frères africains m’ont délégué pour signaler des cas de malversations financières, de discrimination, de harcèlement et d’abus d’autorité. Jusque-là, nous n’avons eu aucune réponse de la part du Bureau de l’Audit Interne et des Investigations. La situation a continué d’empirer dans le bureau de l’Unicef-Sénégal avec une représentante qui use très habilement du mensonge, de l’hypocrisie et de la manipulation.
Qu’avez-vous tenté pour mettre un terme au racisme ?
Nous avons travaillé sur trois axes à savoir écouter et coacher le personnel et recenser les cas d’abus et de discrimination, discuter avec le management pour trouver des solutions sérieuses et interagir avec la Direction Exécutive de Unicef New York pour des solutions définitives et dissuasives. Je suis docteur en Psychologie et je me suis employé méthodiquement à écouter et recenser les cas de discrimination, d’abus et de harcèlement. J’ai organisé des séances de speak-up pour libérer la parole en public et redonner de la confiance aux collègues. Il était important pour moi que mes collègues sachent qu’il y a un monde bien plus grand hors de l’Unicef et de tout le système des Nations-Unies. L’Afrique est plus grande que l’Unicef et tout le système des Nations-Unies. Dieu est plus Grand que l’Afrique. Nous avons discuté plus d’une dizaine de fois avec le management pour mettre un terme à la discrimination. Nous avons montré ce que le staff vit et l’insécurité émotionnelle et psychologique qui règne au bureau surtout chez les nationaux aux contrats précaires. Nous avons demandé une enquête indépendante sur la gestion du bureau et la représentante s’y est opposée contre l’avis favorable du directeur des opérations qui, à cette époque, ne s’était pas encore compromis dans les forfaitures du bureau comme il l’est aujourd’hui. J’ai moi-même donné l’exemple en dénonçant les abus et en bloquant les forfaitures planifiées par le management pour prendre en otage l’élection du bureau de l’Association du personnel. Nous les avons contraints à se conformer à la constitution de l’Association. C’était l’Appel de Dakar…
Qu’est-ce que l’Appel de Dakar a donné ?
Une sanction et c’est moi qui ai été sanctionné. En moins de deux mois après l’appel de Dakar, j’ai été fait l’objet d’une mise en accusation pour antisémitisme et mauvaise conduite. L’antisémitisme concerne un post que j’ai fait pour dénoncer les crimes odieux des soldats Israéliens sur les femmes et les enfants palestiniens. La mauvaise conduite concerne une image du président Emmanuel Macron que j’ai reprise dans le contexte où il a insulté la foi de milliards de Musulmans avec les caricatures du Prophète Mohamed (PSL). J’ai été sanctionné et j’ai perdu de manière permanente un tiers de mon salaire. En novembre 2021, j’ai demandé que le président de la République du Sénégal Macky Sall et l’ensemble des présidents des pays africains prêtent une meilleure attention à la situation de leurs nationaux dans les organisations internationales. Là également, j’ai été sanctionné de deux mois de congés forcés. J’ai été interdit de tout accès au bureau sous prétexte que ma présence était nuisible à l’harmonie du bureau.
Pourquoi les Africains vont-ils travailler dans ces agences du Système des Nations-Unies malgré ce racisme systémique ?
Les Nations-Unies n’appartiennent pas aux pays occidentaux. Il est tout à fait normal que les Africains qui ne sont pas recrutés dans les postes stratégiques dans leurs pays pour diverses raisons, servent dans une organisation qui est censée défendre les droits humains. Cependant, il est clair que l’Afrique nouvelle n’a pas vocation à garder éternellement l’Unicef. Une génération arrivera sans aucun doute et remerciera courtoisement l’Unicef. Elle lui fera comprendre que l’Afrique se suffit à elle-même pour éduquer ses enfants. Pourquoi n’y a-t-il pas Unicef en France et dans d’autres pays développés ? D’ailleurs, dans le programme Education de l’Unicef, il y a un agenda voire un module caché que les décideurs Onusiens voulaient promouvoir, mais aucun fonctionnaire n’ose l’exécuter au Sénégal, un pays musulman. Il faut savoir que la contribution de l’Unicef dans la prise en charge des enfants sénégalais est parfaitement marginale comparée à ce que l’Etat et le parent sénégalais investissent sur leurs enfants. La seule contribution significative est liée à l’expertise technique de nos compatriotes qui y travaillent. On a accepté ces organisations chez nous comme si cela va de soi et on n’envisage pas notre futur sans elles. La réalité est tout autre.
Maintenant que comptez-vous faire suite à votre licenciement ?
Je vais déposer une plainte contre l’Unicef pour licenciement abusif. Je le ferai pour les générations futures qui vont intégrer le système des Nations Unies. Je profite de l’occasion de lancer un appel à La Ligue sénégalaise des droits humains (Lsdh), la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme (Raddho) et Amnesty International Sénégal etc. De même qu’à toutes les autres organisations de lutte contre le racisme afin qu’elles me soutiennent dans ce combat contre le racisme…
Propos recueillis par
Pape Ndiaye
« Le Témoin » quotidien sénégalais