La descente aux enfers que connaît la transition depuis un certain temps n’est apparemment plus maîtrisable. La fusée qui était censée symboliser une certaine lancée démocratique pour notre pays est, pour ainsi dire, clairement hors de contrôle. Ni le désaveu de l’ancien ministre de la justice, ni la raclée prise par notre procureur bien aimé aujourd’hui Garde des Sceaux, n’ont réussi à freiner la junte au pouvoir dans l’accomplissement de son funeste projet. C’est à croire que plus le mal prospère, plus le désir s’intensifie d’en produire davantage.
Désormais, c’est au tour du CNT – principal organe de la transition – d’ajouter à cette malencontreuse déroute de la transition la nébuleuse qui va tout péricliter. En effet, on apprend depuis quelques jours dans les médias qu’il a été confié à un petit cercle d’amateurs la responsabilité de rédiger l’avant-projet de notre nouvelle constitution.
Si le projet en lui-même est insusceptible, par sa pertinence, de nous porter préjudice, il en va autrement des personnes qui doivent le piloter. Entre professeurs de façade et experts bons marchés ; historiens de pacotille et sociologues par procuration, la composition de l’équipe censée diriger l’idée désormais populaire de refondation républicaine est soit la sacralisation par excellence de l’imposture, soit l’ultime consécration de la vacuité intellectuelle devenue un sport national chez nous. Ici, les verbiages raffinés l’emportent sur la profondeur analytique et les joutes verbales font office de pensée.
Tout porte ainsi à croire que, la nouvelle Guinée, celle-là même qui aurait dû être le symbole d’une rupture radicale avec les pratiques rédhibitoires des régimes précédents, est en train de devenir, sur coup de manœuvres puériles et de désignation affinitaire, un terreau d’imposture sur lequel règnent ceux qui ont maîtrisé l’art de la grandiloquence, qui pataugent élégamment dans le marécage du prêt-à-porter intellectuel et politique.
Heureusement que le CNRD est intervenu, quoique motivé par des considérations populistes, pour mettre un terme, du moins provisoire, à cet invraisemblable canular avant que son image n’en sorte davantage malmenée et dénaturée.
Écrire un avant-projet constitutionnel est une tâche d’une extrême complexité. L’exercice requiert de l’intelligence historique et mémorielle ; de la vigilance dans le choix des philosophies qui doivent guider chacune de nos décisions politiques ; et aussi de la mesure dans la détermination de nos institutions, dans la nomenclature de nos droits et libertés, lesquelles doivent fonder nos actions et régir notre vivre ensemble.
Il ne s’agit donc pas – comme nous le faisons si souvent – de mimer, de singer l’occident et de paraphraser ses croyances et idéologies dans le pacte fondateur de notre nouvelle République. Le temps de l’imitation est révolu. Nous devons écrire autre chose ; penser différemment ; et organiser notre charte d’une manière qui convienne à notre volonté d’innover. Il est en effet question d’apporter la preuve de notre existence réelle au monde.
Les autres doivent s’inspirer de notre audace techno structurelle, de notre particularité démocratique. Cela demande un travail substantiel, conséquent ; et nécessite une réflexion en intelligence collective du peu d’intellectuels que nous avons : écrivains de renoms, historiens féconds ; professeurs de droit, de sciences politiques, d’économie, de sociologie, de philosophie… reconnus dans leurs domaines respectifs pour avoir publié des livres ou articles dignes de ce nom. On pourrait aussi associer à cet élan de réflexion collective des acteurs de la société civile qui se distinguent par leur pensée, des docteurs ou doctorants qui publient régulièrement sur des sites reconnus et qui sont forts de propositions. C’est seulement ainsi qu’il sera possible d’inventer quelque chose de différent et de salutaire.
Les marchands d’illusion, spécialistes de l’agencement des formules creuses et laudatives, de la récitation des principes et lois, ne pourront en aucune manière nous montrer la voie. Ils sont déjà trop occupés à apprendre par cœur ce que les autres ont d’ores et déjà pensé ; trop occupés à aller à la rencontre des journalistes pour magnifier le Droit.
Pour une fois, nous n’avons pas droit à l’erreur. Il nous faut donc faire le bon choix, d’abord pour nous mais aussi pour la postérité. La Guinée d’aujourd’hui et celle de demain se dessinent dès maintenant. Le corps de règles que nous allons écrire va déterminer l’orientation de notre avenir. Bien sûr que rien n’est irréversible, mais ce serait inconséquent et lapidaire de refaire l’histoire. La Guinée doit définitivement sortir du contexte transitionnel. Mais pour que cela arrive, il nous faut une charte fondamentale, historique qui se veut fondatrice d’une espérance nouvelle, d’une pratique démocratique inaugurale : celle dans laquelle tout coup d’état – de quelque nature qu’il soit – sera rendu impossible.