Les chanteurs et griots Malinké ont pour tradition de se rendre dans la ville de Sandjana, pour être initiés et avoir une belle voix. C’est une ville située entre Dabola et Kouroussa mais elle est rattachée à la préfecture de Dabola. Dans cette ville il y a une source d’eau où, ni les Malinké, ni les étrangers n’ont le droit de s’y baigner. C’est une source habitée par un génie (djinn) du nom de Mamiwata. Ce génie est également celui qui a engendré un autre génie célèbre dans la mythologie guinéenne, du nom de Gbassikolo.
C’est un lac au bord duquel on conduit et initie les chanteurs et griots qui souhaitent le succès dans leur métier. Cependant, lors du pacte d’alliance entre la djinn et l’initié, il est rappelé à ce dernier qu’il lui est formellement interdit de chanter le nom de Mamiwata au risque de ne pas avoir longue vie. La légende dit que le griot qui chante le nom de Mamiwata n’aura pas longue vie, et ce fut le cas du célèbre chanteur Aboubacar Demba Camara, qui chanta sa chanson à succès du nom de Mamiwata. Un autre chanteur moins connu du nom de Lasso Doumbouya mourra peu de temps après avoir chanté le nom de la djinn venue de Sandjana. D’autres chanteurs et griots célèbres furent initiés mais ne prononcèrent pas le nom de Mamiwata dans leurs chansons, ils continuent de chanter et d’avoir du succès. Ce fut le cas du griot Fodé Kouyaté.
Le Gbassikolo fut ce génie installé par sa grande sœur Mamiwata, sous le grand baobab situé près du Palais du peuple, à l’entrée de la commune de Kaloum, dans la Capitale Conakry.
La légende raconte que c’est le premier président de la Guinée, Ahmed Sékou Touré, celui qui a conduit son pays à l’indépendance, le 2 octobre 1958, qui a souhaité faire construire ce palais du peuple. Pour se faire, il a dû s’adresser au génie qui hantait les lieux, le fameux Gbassikolo. Ce dernier accepta que le président y construise le palais du peuple mais posa des conditions. Celle de faire un sacrifice humain. Or, ce sont les chinois qui étaient en charge de la construction du palais. C’est à ce titre que le Président désigna un ouvrier chinois à titre d’offrande au Gbassikolo afin de construire le palais du peuple sans entrave du génie. Le génie réclama également qu’on lui construise une case en toit de chaume (paille). Celle-ci fut construite dans l’enceinte du palais à l’époque. Le génie exigea que l’on n’abatte pas le baobab qui était un lieu d’offrande qui lui était dédié. Le génie annonça que c’est un arbre qui tombera de lui-même le moment venu. Il prédira que le président qui viendra après la chute de l’arbre ne restera pas au-delà d’un an après cette chute. C’est ainsi que les travaux de construction eurent lieu et que le président Ahmed Sékou Touré régna en ayant pactisé avec Gbassikolo. Le djinn lui exigea également de la droiture et de la rectitude durant son règne.
À ce titre, Sékou Touré s’engagea auprès du peuple et de son gouvernement à ne pas trahir sa patrie sous peine d’être exécuté. Le président, à son tour, exigea de tous les membres de son gouvernement de prêter serment et de s’engager à ne pas trahir la patrie sous peine de mort.
Toutes les fois qu’un membre du gouvernement faillira à ce serment, le président le rappellera à son serment avant d’exécuter la sentence et le châtiment. C’est par défaillance au serment que beaucoup ont justifié les disparitions et exécutions d’anciens ministres du régime de Sékou Touré, responsable suprême de la révolution. C’est dans cette atmosphère de serment et de pacte avec Gbassikolo que le président Ahmed Sékou Touré régna durant 26 ans sans partage. À son décès, le premier ministre de l’époque, Lansana Béavogui a réuni le gouvernement, pour demander aux membres de s’organiser pour la succession au défunt président. Ce fut une réunion houleuse où l’on rapporte que le ministre Ismaël Touré alla jusqu’à gifler le Premier Ministre Lansana Béavogui, en invoquant qu’un ‘mangeur de singe’ ne peut pas être président en Guinée. Aucune entente ne fut trouvée pour désigner le successeur de Sékou Touré. Pendant ce temps, les militaires veillaient à la suite des évènements notamment le Colonel Lansana Conté, qui deviendra plus tard général. C’est dans cette confusion que furent libérés deux célèbres et très populaires militaires, qui croupissaient dans les geôles de la contre révolution, Kabassan Keita et Diarra Traoré.
Après l’échec de la succession au président Sékou Touré, par le gouvernement civil, l’état-major de l’armée se réunira quelques jours plus tard. Les deux anciens prisonniers libérés proposèrent que Lansana Conté prenne la succession du feu Président Sékou Touré. Le proposé répondra qu’il n’est pas très instruit et qu’il est préférable que ce soit Diarra Traoré qui soit désigné comme Président, pour cause de son bon niveau d’instruction et son grade militaire plus élevé. Diara Traoré insistera que ce soit Lansana Conté le Président. Après de longs palabres, tout l’état-major se mettra d’accord pour donner le pouvoir à Lansana Conté. Ce dernier demandera au groupe à plusieurs reprises, de confirmer son choix. Ce qui fut fait.
C’est pendant cette réunion au sommet que le génie Gbassikolo entra de nouveau en scène en pénétrant dans la salle de réunion, sous forme d’une femme, et demanda qu’on lui donne la parole car elle avait quelque chose à dire. L’assemblée s’étonna de cette apparition soudaine de la femme et se demanda d’où vient-elle ?
La parole fut donnée à Gbassikolo avec une écoute religieuse des membres de l’état-major.
La djinn leur donnera deux directives à suivre, en disant :
Celui que vous désignerez comme chef devra faire preuve de droiture car c’est un homme droit qui peut gouverner la Guinée.
Le chef qui n’est pas droit ne pourra pas durer au pouvoir et son règne sera jonché de malheur.
Puis Gbassikolo disparut comme elle était apparue. Personne ne sut où elle est allée.
C’est sur cette note mystique au goût de mythologie que Lansana Conté fut désigné Président de la Guinée. Et, le Premier Ministre Lansana Béavogui le mettra en garde contre les proches de feu Sékou Touré, en lui indiquant que s’il les laissait libre, en moins d’un an de son règne, ils vont le tuer. Il rajouta que ce fut le cas pour Toya Condé, un autre célèbre militaire de haut rang de l’armée du régime de Sékou Touré.
Lansana Conté suggéra de maintenir Béavogui comme Premier Ministre et de nommer Kabassan Keita comme Ministre de la défense. Cette suggestion de maintenir Lansana Béavogui à son poste fut rejetée par les membres du groupe rassemblés en conclave. Peu de temps après, Lansana Béavogui et les membres du gouvernement de Sékou Touré furent transférés à la prison de Kindia. Il se dit que Lansana Béavogui mourra par empoisonnement par un médecin à la prison sur ordre de Diara Traoré. Cependant, une version plus plausible rapporte que les anciens membres du gouvernement déchu furent exécutés sur ordre d’une commission composée d’officiers supérieurs du Comité Militaire de Redressement National (CMRN) à l’insu du président Lansana Conté, qui n’a été informé qu’après passage devant le peloton d’exécution des condamnés.
Le règne de Lansana Conté suivra son court jusqu’à son voyage au Togo, et Diara Traoré profitera de son absence pour faire un coup d’état pour renverser le président. Un coup d’état qui échouera, et le putschiste en chef fut arrêté. Le président Lansana Conté reviendra triomphalement au pays. En colère, il désigna toute l’ethnie malinké, celle de Diara Traoré, d’être aux commandes pour le renverser et le tuer. Son beau-frère lui dira : « Ce n’est pas parce qu’un individu d’une ethnie donnée s’en est pris à toi que toute son ethnie est responsable du putsch ». Il l’exhortera de ne pas s’en prendre à toute une ethnie. Il ne suivra pas les conseils de son beau-frère…
Dans cette confusion, Gbassikolo réapparaitra de nouveau sur la scène politique. Mais il ne viendra pas seul cette fois-ci. En effet, il sera accompagné de sa grande sœur Mamiwata.
C’est ainsi que les deux génies (djinn), préparèrent un cul de jatte (une djinn dénommée Koro) à Sandjana et la mandata pour venir à Conakry éliminer Lansana Conté. Se déplaçant de ville en ville jusqu’à Conakry, où elle rencontrera à son arrivée un réputé voyant français, que le président Lansana Conté consultait régulièrement. Ce voyant avait prédit au Président qu’arrivera un jour où trois étrangers viendront à lui. L’un viendra du ciel, l’autre sur l’eau et le troisième sur terre. Lansana Conté acquiesça et répondra qu’il les attendra. Celui du ciel et celui sur l’eau ne viendront jamais. C’est celui de terre (Koro) qui viendra, c’était une femme et elle se fera tondre les cheveux à son arrivée à Conakry, dans le quartier de Coléah, pas loin du palais du peuple. On envoya ses cheveux sous le baobab de Gbassikolo, à titre d’offrande au maître des lieux. Cette tonte de cheveux diminua la force du Koro. Cependant, elle se déplacera jusqu’au Camp militaire du nom de Samory où vivait Lansana Conté, non loin du palais du peuple. Une fois sur place, elle se dirigea vers le BQG (Bureau du Quartier Général) et demanda à rencontrer le président. Un sosie de Lansana Conté se présenta à elle affirmant qu’il est le Président Conté, elle lui répondit qu’il ne l’est pas, et Koro disparue.
Une croyance populaire raconte que c’est l’alliance entre Mamiwata et Gbassikolo qui protège la Guinée de tous les complots.
Tous les complots organisés pour déstabiliser la Guinée ont échoué par l’œuvre de ces deux puissances mystérieuses des forces de l’ombre. Ce sont elles qui ont été les protectrices du Président Ahmed Sékou Touré, père de l’indépendance et premier président de la Guinée, qui régna durant 26 ans. La petite histoire raconte que celui-ci fut néanmoins empoisonné à travers un micro avant d’être conduit dans un hôpital à Cleveland aux États-Unis. Avant de partir pour ses soins, un voyant indien de religion Indou de Sékou Touré lui avait prédit que c’est un militaire qui lui succèdera et que si toutefois il avait le malheur de voir le visage de ce dernier en songe ou en rêve, il ne reviendra pas vivant de son voyage de Cleveland.
Sékou touré rendra son dernier souffle dans une clinique à Cleveland, son cercueil viendra en Guinée et personne n’a pu voir son corps. L’enterrement dudit cercueil réputé vide fut encadré par des troupes marocaines qu’on dit être un commando en mission de protection du cercueil afin qu’il ne soit pas ouvert. L’enterrement eu lieu avec tous les honneurs. Un mausolée est érigé à Conakry, près de la grande Mosquée Fayçal. Cependant, un mystère entoure le véritable lieu de sépulture du corps du défunt président et nul ne peut prétendre connaitre le lieu exact où il repose, sauf peut-être Gbassikolo et Mamiwata, ou les initiés.
Les guinéens furent prêts pour la révolution et celle-ci fut globale et multiforme.
Quant au baobab du palais du peuple, il tomba de lui-même un beau matin mais encore aujourd’hui le tronc de l’arbre sacré est sur place et nul ne semble oser l’arracher. Est-ce par crainte des représailles de Gbassikolo et Mamiwata ?
Allez savoir !
Ne dit-on pas qu’il ne faut tirer le djinn par la queue même quand on ne croit pas à son existence ?
« I ya bö ni sa, i ya bö ni sa, ya waré, i ya bö Mamiwata, djina muso min tö Mamiwata, i ya bö ni sa , ya walé, … oh, oh, tèmè i na ma n’kana, tèmè…»
(Extrait de la chanson « Mamiwata », d’Aboubacar Demba Camara du Bembeya Jazz National).
Nota : Les guinéens qui me feront l’amitié de lire ce texte seront tentés d’y relever des situations, des gens et des lieux connus. Les personnages et les décors sont à la fois réels et fictifs; mais les noms sont aussi imaginaires que possible. Toute analogie serait donc trompeuse.
Conakry, le 2 octobre 2022
Stéphane Kaba