Pendant qu’en France, beaucoup dénoncent son offensive contre les libertés avec sa loi sur la « sécurité globale », Emmanuel Macron a accordé une interview à JA pour parler des relations avec l’Afrique. Visiblement embarrassé par son « deux poids deux mesures » face aux cas guinéen et ivoirien, le président français a tenté des réponses qui sont de nature à le décrédibiliser et par ricochet, à renforcer le sentiment anti-français chez de nombreux francophones. Ci-dessous une petite autopsie de cette interview qui fait jaser notamment en Guinée.
- Question du journaliste : Alpha Condé, Alassane Ouattara… Les modifications constitutionnelles permettant de lever le verrou du nombre de mandats des chefs d’État se multiplient. Que dites-vous à vos homologues qui ont recours à de telles modifications pour se maintenir au pouvoir ?
- Réponse de Macron : La France n’a pas à donner de leçons. Notre rôle, c’est d’en appeler à l’intérêt et à la force qu’a le modèle démocratique dans un continent de plus en plus jeune. L’Afrique a intérêt à construire les règles, les voies et les moyens pour avoir des rendez-vous démocratiques réguliers et transparents. L’alternance permet la respiration. Elle est aussi le meilleur moyen de permettre l’inclusion dans la vie politique et de lutter contre la corruption, qui est le pendant d’une conservation trop longue du pouvoir. Ce ne sont pas des leçons, c’est du bon sens. Après, ce n’est pas à moi de dire : « La Constitution doit prévoir x ou y mandat ». Je rappelle que la France elle-même, jusqu’il y a douze ans, n’avait pas de limitation du nombre de mandats dans sa Constitution. Mais il n’y a pas eu en France de changement des règles du jeu en cours de route pour se maintenir au pouvoir…
Le hic ? Paul Kagamé par exemple qu’Emmanuel Macron reconnait s’être rapproché-il annonce dans l’interview une visite au Rwanda en 2021-, est président de son pays depuis 2000. En 2015, il a fait voter une modification constitutionnelle qui lui a permis de se présenter à l’élection présidentielle de 2017, à l’issue de laquelle, il a été réélu pour sept ans. A la fin de son actuel mandat, le président rwandais aura au compteur du pouvoir, 30 ans ! Car il a été vice-président et ministre de la Défense -le président de fait-, de 1994 à 2000. L’ALTERNANCE, Monsieur Macron !
- Suite réponse : C’est exact. Pour revenir aux deux cas particuliers que vous évoquez, je vais vous dire ce que j’en pense en toute franchise. Je ne mets pas le cas de la Guinée et celui de la Côte d’Ivoire dans la même catégorie. J’ai eu plusieurs fois des discussions avec le président Alpha Condé – des discussions très franches, y compris le 15 août 2019, quand il était en France. Le président Condé a une carrière d’opposant qui aurait justifié qu’il organise de lui-même une bonne alternance. Et d’évidence, il a organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir. C’est pour ça que je ne lui ai pas encore adressé de lettre de félicitations. Je pense que la situation est grave en Guinée, pour sa jeunesse, pour sa vitalité démocratique et pour son avancée.
Récemment, Ben Smith, journaliste du New York Times, a écrit que Macron accuse les médias anglophones, et américains en particulier, de chercher « à imposer leurs propres valeurs à une société différente ». On peut bien retourner au président français cette pertinente remarque quand il parle de la Guinée. Il faut par ailleurs lui rappeler qu’une constitution, le pouvoir, sont des propriétés exclusives du peuple qui les donne à qui il veut. Et la forme la plus aboutie de changer la constitution est de faire recours à un referendum, donner la parole au peuple. L’ancienne constitution de la Guinée a été mise en place par un groupuscule n’ayant pas le mandat du peuple. Son changement tôt ou tard s’imposait. C’est vrai que cela a profité à Alpha Condé mais, les Guinéens-dans leur majorité- n’y ont pas trouvé d’inconvénient. Sa réélection -avec la manière-, le prouve…
- Q : En quoi la récente réélection d’Alassane Ouattara à un troisième mandat, lui aussi grâce à un changement de la Constitution, serait différente ?
- R : Le président Ouattara s’est clairement exprimé en mars pour dire qu’il ne ferait pas de troisième mandat. Je l’ai tout de suite salué. Un candidat avait été désigné pour lui succéder : le Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly. Mais à quelques semaines de l’échéance, il s’est retrouvé dans une situation exceptionnelle avec le décès de ce dernier. Je peux vous dire, de manière sincère, qu’il ne voulait pas se représenter pour un troisième mandat.
Macron, à bien des égards prend les paroles de Ouattara pour celles de l’évangile. De toutes les mille manières, son protégé ne voulait pas, mais l’a fait. Et désormais, sous les tropiques, pour bénéficier de la bénédiction du Prince de l’Elysée, il suffit de « préparer » au dauphin incertain…
- Q : Avez-vous essayé de l’en dissuader ?
- R : Nous avons eu une discussion très franche en septembre, quand il est venu ici. Tout le monde a bien noté ce long déjeuner en tête-à-tête que nous avons eu. Je lui ai dit ce que je pensais et j’ai entendu ses arguments et son inquiétude pour la stabilité du pays. Il a considéré qu’il était de son devoir d’y aller et qu’il ne pouvait reporter l’élection. Nous avons continué à avoir des discussions durant la campagne, puis au soir même du premier tour et plus récemment, le 14 novembre. Il est maintenant de sa responsabilité d’œuvrer pour la réconciliation, de faire les gestes, d’ici aux élections législatives, pour pacifier son pays. Il est parfaitement conscient des tensions actuelles qui ont causé la mort de plus de 80 personnes. Il lui faut également réussir à se réconcilier avec les grandes figures de la politique ivoirienne. Les initiatives prises à l’égard d’Henri Konan Bédié sont, à cet égard, importantes, de même que les gestes à l’intention de Laurent Gbagbo. Mais il faudra quoiqu’il arrive favoriser un renouvellement générationnel.
Avec plus de 80 morts (bilan de Macron), Ado a-t-il réussi à « stabiliser » la Côte D’Ivoire pour mériter son attention particulière ?
- Q : La situation demeure tendue. Outre la reprise du dialogue avec Bédié et des gestes envers Laurent Gbagbo, que peut-il faire d’autre ?
- R : Ce sont déjà deux points très importants. Il appartiendra ensuite au président Ouattara de définir les termes d’une vie politique pacifiée. Il devra sans doute faire des gestes d’ouverture dans la composition du prochain gouvernement ainsi qu’à l’égard des jeunes générations des partis politiques. Dans un pays où plus de 60 % de la population a moins de 35 ans, il serait bon que le prochain président ait moins de 70 ans…
Des injonctions à peine voilées. Joe Biden à quel âge déjà ? Il faut « être arrogant comme un Français en Afrique » (Antoine Glaser), pour parler de la gestion de nos Etat à la Macron.
- Q : Vous semble-t-il réceptif ?
- R : Totalement. Il (Ouattara) a lui-même hésité à introduire une limite d’âge dans la Constitution. Je vous le dis : je pense vraiment qu’il s’est présenté par devoir. Dans l’absolu, j’aurais préféré qu’il y ait une autre solution, mais il n’y en avait pas.
Sacré Macron !
Dans une enquête publiée il y a quelques jours, Mediapart a fait parler des spécialistes des relations internationales. Ils ont jugé la conduite de la diplomatie de Macron, à la fois « arrogante » et « naïve », mais aussi « suffisante », « disruptive », « émotionnelle », conditionnée par sa « recherche des coups d’éclat » et son « addiction à la communication».
On ne peut pas en dire mieux.