Censure

Comment écraser l’ethnostratégie : Ce que propose Me Aminata Barry (Suite et fin)

N’étant pas publiciste de formation encore moins constitutionnaliste, quoique juriste,  je ne peux parler que sous le contrôle des spécialistes en cette matière. Les quelques  réminiscences qui me reviennent de mes cours de  droit constitutionnel dans le cadre du tronc commun, me permettent d’affirmer que les sénateurs sont aussi des législateurs qui examinent les lois et peuvent ne pas avoir le même avis que les députés.

En cas de divergence, une forme de va et vient appelée « la navette » s’installe entre les deux institutions, mais le dernier mot revient à l’Assemblée nationale  qui tire sa légitimité du peuple de façon directe alors que les sénateurs sont soumis à un suffrage indirecte, parce qu’élus par d’autres élus de base pour faire simple. Nous sommes dans le cadre du droit français.

Mon problème est ailleurs : comment conférer à ce sénat une autre vocation de manière à l’adapter à nos réalités en intégrant nos valeurs ?

Ce sénat se substituerait aux coordinations régionales qui ont causé plus de tort que de bien. Comment lui donner une légitimité dont la force morale serait incontestable jusqu’à lui confier la responsabilité d’assumer la transition en cas de vacance du pouvoir ?

A ce stade, la parole devrait être donnée aux sociologues, juristes, politologues, société civile, ….

Le sénat devra être aussi une radioscopie de la nation. Un autre problème et pas des moindres, à débattre, se situe à un autre niveau : Comment garantir une neutralité dans un pays  qui a brisé son espace public seul garant de l’équité et de l’égalité ? Le sénat a toujours évoqué dans mon esprit l’image d’un vieil homme à l’allure majestueuse, pétri de morale dont on ne peut contester les décisions parce qu’elles puisent leur force de la sagesse des anciens qui savent garder une neutralité absolue dans la gestion des problèmes de nos villages.

En fouillant dans ma mémoire, je rétiens que le sénat français puise son origine dans la protection des monuments historiques ; de réformes en restructurations, on est arrivé à le doter de pouvoirs légaux jusqu’à en faire un sénat républicain chargé de représenter les collectivités territoriales.
Je n’avais donc pas tort de vouloir rattacher à ce sénat une connotation « d’ancien » rappelant les us et les coutumes ancestrales.

La dextérité intellectuelle de nos constitutionnalistes consistera à le moderniser, sans le dépouiller de nos valeurs, en le rendant républicain.

Je pense que les coordinations régionales sont à interpeller pour les recadrer en exigeant d’elles une feuille de route qui puisse être en harmonie avec la lettre de notre constitution et l’esprit de nos lois afin qu’elles soient en conformité avec la république. A cette condition seulement, certains de leurs membres répondants à des critères précis pourront avoir qualité à siéger dans ce sénat dont la vocation sera définie dans la nouvelle constitution pour mériter le grade de chambre haute.
Ce qui est arrivé au Mali devrait inspirer plus d’un ; c’est un sévère avertissement adressé aux « pseudos » cadres érigés en pyromanes passés dans l’art de flatter les bas instincts. Ces «idéologues» à la manque devraient plutôt prêcher l’unité nationale et la paix au nom de l’espace public duquel aucun guinéen ne doit être exclu. Aujourd’hui, quand j’entends parler du «pouvoir de Bamako », comme si la capitale ne faisait plus partie du grand Mali, je dis et répète que les guinéens doivent faire attention, d’autant que les djihadistes sont en embuscade et peuvent profiter de n’importe quelle opportunité pour s’inviter.

Cette décentralisation de façade qu’on nous impose est dangereuse ; elle est à l’origine de ce qui arrive au Mali. Le département de la décentralisation est l’un des plus sensibles. Tout titulaire de ce secteur doit faire très attention dans la gestion de nos collectivités.

Quand la loi passe, le compromis trépasse ; il n’y a plus de place pour un quelconque consensus. Les guinéens doivent apprendre à respecter la loi. Tout le monde a pris la place du juge, alors que même ce dernier ne peut que dire la loi, il ne l’interprète pas. La mode du consensus a tué la loi et la démocratie ; il ne faut donc pas se demander pourquoi en sommes-nous toujours à quémander un dialogue quand la loi a tout dit. Cette attitude de compromission par le consensus conduira à installer l’illégitimité, donc l’anarchie et la désobéissance civile. La légitimité possède la vertu de l’onction populaire que personne ne peut remettre en cause. C’est le socle de la démocratie.
a)      Qu’entend-on par l’espace public ?

J’en ai beaucoup parlé sans le définir au regard de ma préoccupation. Cet espace est essentiel pour la paix, c’est le symbole du assemblement à l’usage de tous, donc il n’appartient à personne.

La terre de Guinée est notre espace collectif, elle nous est commune, nous l’avons en partage. Cet espace symbolise aussi les valeurs, telle la liberté qui est inaliénable dans une démocratie à l’intérieur de laquelle les différents acteurs sociaux, politiques, religieux, culturels, intellectuels, peuvent discuter, s’opposer puis délibérer. Cet espace doit permettre la construction du vivre ensemble avec nos différences. Il ne peut être pris en otage ni confisqué par qui que ce soit et au nom de quoi que ce soit.

b)- Conclusion de cette longue réflexion à débattre.
J’ai d’abord hésité entre ce trouble profond qui s’est emparé de moi à me perturber le sommeil et ce réflexe de légitimité qui ne me quitte jamais. Ma loyauté et le sens profond du genre humain qui me viennent de mes parents m’ont souvent conduite à livrer des batailles acharnées contre les discriminations et l’injustice. J’ai observé ce cycle de désespérance dans lequel est plongé le peuple de Guinée depuis si longtemps, tourbillon duquel il faut l’extraire. Nous vivons une démocratie d’apparat dans laquelle les citoyens n’existent plus en réalité parce que condamnés à voir défiler des dirigeants qui ont eu un passé et qui nous laissent toujours un passif après leur passage. Il y a tellement longtemps que les écailles me sont tombées des yeux pour voir plus clair. Je souhaitais que cette prise de conscience gagna mes concitoyens ; si ce n’est toujours pas le cas, alors je les y engage.

Il faut retenir que l’ethnocentrisme désacralise les fonctions des pouvoirs publics, notamment le statut du président de la république comme institution. Le régime présidentiel tel qu’il est conçu et entendu conduit ni plus ni moins à la résurgence d’un monarque donc d’une monarchie parce qu’il y a un déficit dans l’équilibre des pouvoirs. Cette analyse est un appel d’air pour faire entendre ma voix et peut être celles des sans voix.

J’entends déjà la clameur des partis politiques et ils ont raison pour s’être durablement investis dans la lutte pour le changement et l’accès au pouvoir. Beaucoup de leurs militants sont morts, assassinés, humiliés, embastillés à ce jour, dans l’arbitraire le plus absolu.

Beaucoup ont perdu corps et biens inestimables. C’est vrai et j’étais là aussi, à me battre autrement, dans la discrétion, sans résultat aucun. Mais la soif de justice et de démocratie n’est toujours pas étanchée. Les discriminations et frustrations de tous ordres persistent. La parole publique n’est plus audible. Tel Sisyphe et son rocher condamné à un perpétuel recommencement, allons-nous continuer à accepter cette fatalité ? Je dis NON ! Ce supplice de tantale qui est le nôtre à savoir avoir tout à sa
portée, mais ne pas pouvoir en jouir, peut-il rester sans remède ?  Je répète NON !

Je dis non, comme le reprend Tiken Jafakoly, car il y a forcément une ou des solutions. Depuis 1958, on n’a pas arrêté de prendre notre destin en main. Cette fatalité que nous subissons doit s’arrêter d’une manière ou d’une autre. J’ai voulu m’inscrire dans une forme de démocratie positive en faisant des propositions et pour que je puisse me dire « au moins, j’aurais tenté » avec la force de mes arguments qui en rencontreront d’autres, je l’espère, mais il faut combattre la gestion rance de l’ethnocentrisme érigée en système de gouvernance qui touche jusqu’à l’emploi ou l’octroi de marchés. Mais en même temps, on ne peut pas nier que les partis, dans leur majorité sont de coloration ethnique et cela se vérifie même au stade des reports de voix qui obéissent mécaniquement à cette donnée ethnique. Devons-nous continuer comme ça ? La question est posée à notre conscience de patriote.

Comment purger ce fléau, ce venin ?
Le syndrome du Mali aurait dû être suffisamment dissuasif pour nous inviter à la sagesse. Nous avons la chance de n’avoir pas de répartition Nord/Sud, je l’ai déjà dit.

c)Une autre forme d’alternance. Après le quatrième tour, je propose qu’il y ait un cinquième tour qui reviendra au président de la république le plus méritant, donc, à la région naturelle qui aura offert au pays, ce fils prodige. La Guinée avant-gardiste de tout, doit encore innover en montrant le chemin d’une autre forme d’alternance, puisqu’on ne peut pas être le Sénégal ni le Ghana, vitrines d’une démocratie enviable. Je ne terminerai pas sans féliciter un homme que je ne connais pas physiquement, un éminent juriste dont la culture et la formation m’impressionnent et par-dessus tout, un homme neutre et patriote. Ce sont des denrées plutôt rares aujourd’hui. Je l’ai toujours écouté de station en station ; même la RTG le sollicite, preuve de sa probité et de sa neutralité. Je suis très avare en compliment, mais, cet homme, je le respecte. Je reste convaincue qu’il détient par devers lui certaines clés aux problèmes du pays.

Vous l’avez peut-être deviné : il s’agit d’un certain Camara, juriste de son état. Je n’en connais pas plus, si ce n’est le timbre de sa voix et la force de ses arguments. Il n’est pas facile d’emporter mon adhésion, mais je suis fière de découvrir qu’il y a encore des valeurs cachées dans mon pays. Des comme lui, il doit y en avoir beaucoup. C’est pour cela que je milite pour la candidature citoyenne aussi, délivrée du bastingage d’un parti.

Maître BARRY Aminata
Fille de BARRY Diawadou
assassiné au Camp Boiro en 1969
In L’Indépendant

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