Rapports des ONG, difficultés liées aux enquêtes, le nombre de morts suite à la crise post-électorale,…le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, Albert Damantang Camara, en parle.
L’État guinéen est à nouveau indexé pour les morts enregistrés pendant les manifestations. Qu’est-ce que vous en dites ?
Je le répéterais à chaque fois que cela sera nécessaire : Premièrement, que certains agents agissent en dehors des directives c’est possible. Qu’ils agissent sur ordre de leur hiérarchie, c’est faux. Deuxièmement, qu’il n’y a pas d’enquêtes sur les assassinats, c’est faux et toute ONG qui dit cela est de mauvaise foi car elles ont toutes reçu les preuves que ces enquêtes sont ouvertes. Nous leur avons envoyé les extraits des rapports d’enquête avec des rapports d’autopsies. Nous leur avons aussi expliqué les difficultés à aboutir à la vérité, surtout quand il y a une exploitation trompeuse des images et vidéos qu’on leur envoie.
la différence entre l’exploitation partisane de ces drames et la recherche de la vérité
Quelles sont ces difficultés ?
Je vous donne un exemple : on nous a montré la vidéo d’un individu habillé en policier en train de tirer dans une rue. J’ai demandé plus d’informations car l’individu est de dos, donc impossible de voir son visage, d’autant que la vidéo a été tournée en début de soirée. Je me suis également étonné qu’un policier se retrouve seul dans une zone aussi hostile (puisqu’on nous a dit que c’était en plein Cosa). Mon interlocuteur m’a répondu qu’il était avec son unité et que ce policier s’était détaché de cette unité pour aller tirer vers des manifestants. J’ai dit Dieu merci, à partir de son unité on va pouvoir identifier ce policier et situer les responsabilités. J’ai demandé que la personne qui a filmé le policier nous envoie également des images de cette unité, éventuellement le numéro d’immatriculation de leur véhicule ou toute autre information pertinente. Nous n’avons rien obtenu à ce jour. Par contre, à l’analyse du son de l’arme, l’Inspection du ministère a déterminé que l’arme qu’utilise l’agent dans cette vidéo est un « cougar », un fusil exclusivement destiné à tirer des grenades lacrymogènes. Nous avons envoyé la réponse à notre interlocuteur pour qu’il fasse lui-même expertiser le son. Voilà toute la différence entre l’exploitation partisane de ces drames et la recherche de la vérité que nous nous sommes tenus de mener. L’une se fait dans la précipitation et l’émotion, l’autre prend du temps et demande de la responsabilité.
Je vous signale que cela arrive fréquemment. On nous montre des policiers ou gendarmes armés et il se trouve que ce sont tout simplement des fusils lance-grenades.
à Sonfonia un mécanicien a été pris en flagrant délit en possession d’un fusil de calibre 12 après avoir tiré à bout portant sur trois personnes
Qui tire sur les manifestants alors ?
Toutes les hypothèses sont envisageables. Entre des snipers, les balles perdues, les crimes crapuleux, les gens qui s’habillent en tenues d’agents, les civils qui tirent pour se protéger, les agents qui font des tirs de sommation, les affrontements entre militants ou les bavures, tous les cas de figure sont envisageables et il y a sans doute un peu de tout là-dedans.
Par exemple, le 21 octobre, à 14h30, un gendarme détaché devant une agence bancaire a été interpellé pour avoir fait des tirs de sommation. On ne saura jamais si une des balles qu’il a tirées a touché quelqu’un. Autres exemples : pas plus tard que cette nuit (nuit du dimanche à lundi, ndlr) à Bailobayah, deux individus à motos ont tiré sur deux autres passants en tuant sur le champ l’un d’entre eux. Ce n’était pas des agents des forces de l’ordre. Le 23 octobre, à Sonfonia un mécanicien a été pris en flagrant délit en possession d’un fusil de calibre 12 après avoir tiré à bout portant sur trois personnes dont une femme. Vous l’avez constaté comme nous ; plusieurs témoignages font état de tirs entre civils.
A Pita, Coyah et à la Cimenterie, les véhicules et les agents des forces de l’ordre ont essuyé des tirs. Au moins 17 agents ont été touchés par des tirs. Parmi eux 8 ont été atteints par des balles de PMAK. Cela démontre pour ceux qui en doutent encore que des civils utilisent des armes et parfois des armes de guerre, et qu’ils les utilisent contre des civils.
Le Policier qui a été tué à Bambéto n’était pas armé et son unité non plus
Comment faire la part des choses et éclairer les citoyens mais surtout faire cesser cela ? c’est tout de même votre responsabilité, non ?
Absolument. Ceci étant dit, il y a beaucoup de confusion autour de ces questions de maintien d’ordre, d’armes conventionnelles, de violences, de tirs et de meurtres pendant des périodes de troubles. L’analyse de la situation est souvent totalement biaisée et ne correspond pas à la réalité du terrain. On confond souvent et, je suis tenté de dire, à dessein, les manifestations pacifiques aux actes de véritable guérilla urbaine. On confond sciemment un manifestant pacifique muni d’une pancarte à une horde de loubards armée de machettes, de frondes, de barres de fer, de cailloux. Chacun de ces objets est une arme létale par destination.
Le Policier qui a été tué à Bambéto n’était pas armé et son unité non plus. Il a été massacré à coup de barre de fer, de pierres et de machettes et jeté dans une poubelle. Ce sont ces loubards qu’on doit qualifier de manifestants pacifiques ? Pourtant, à cet endroit, aucun coup de feu n’a été tiré.
Sachez une chose importante : dans tous les dispositifs de maintien d’ordre, la composition classique d’une unité prévoit au moins un agent en retrait muni d’une arme à feu pour intervenir en dernier recours en cas de danger de mort. C’est valable dans toutes les unités du monde. Chez nous, même cette exception a été interdite par le Président de la République.
Des médias comme France 24 ou La Croix ont utilisé l’analyse de quelqu’un qu’ils ont présenté comme expert indépendant alors que cette personne a déclaré officiellement et publiquement son adhésion à l’UFDG
Il se dit que les enquêtes piétinent parce que les proches des victimes ne collaborent pas. N’est-ce pas parce qu’elles n’ont pas confiance en la Justice qu’elles refusent de collaborer ?
C’est possible. Mais pourquoi n’ont-elles pas confiance ? Parce que la propagande leur a fait croire que c’est le gouvernement qui organise un génocide contre leur communauté. Vous parlez de refus de collaboration pour les enquêtes, mais ça va plus loin. Après la dernière tournée de la délégation du ministre de la Citoyenneté dans les familles de victimes pour présenter les condoléances, annoncer les enquêtes judiciaires et apporter un soutien, ces familles-là ont été menacées. Certaines ont été obligées de déménager.
Et parlant de manque de confiance. Comment voulez-vous que nous aussi nous fassions confiance au regard que porte l’international sur la situation en Guinée quand des médias aussi réputés que France 24 ou La Croix commentent la situation en Guinée ? Des médias aussi ‘‘professionnels’’ que ceux-ci ont utilisé l’analyse de quelqu’un qu’ils ont présenté comme ‘‘expert indépendant’’ alors que cette personne a déclaré officiellement et publiquement son adhésion à l’UFDG ! Toute la Guinée sait ça, sauf ces deux médias ! Nous sommes d’accord pour collaborer avec tous ceux qui vont nous aider à sauver des vies guinéennes et prévenir d’autres morts. Ceux qui cherchent juste à alimenter des statistiques à sensation et justifier leur existence ne sont pas là pour nous aider. Ils ont leur propre agenda et nous n’avons pas les mêmes objectifs.
cette crise est une occasion de redécouvrir la nature humaine
Vous êtes personnellement attaqué sur les violences et les morts pendant les manifestations…
Je comprends qu’une famille de victime ait un ressentiment contre ma personne. Je suis ministre de la Sécurité et lorsqu’un Guinéen meurt dans des conditions aussi dramatiques, je comprends parfaitement que la colère de ses proches s’abatte sur moi. Surtout si aucun coupable n’est appréhendé. Pour tous les autres qui condamnent, insultent ou menacent sur la base des informations rapportées par les réseaux sociaux, les médias et les ONGs sans prendre la peine de l’analyse ou de recouper les informations, je me dis que cette crise est une occasion de redécouvrir la nature humaine. Et pour eux et pour moi.
qu’on retrouve les coupables et que tous ceux qui sont responsables de cela répondent de leurs actes
Quel est le nombre de victimes ?
A date, à Conakry, les morgues des hôpitaux de Donka, Ignace Deen et du Sino-guinéen ont enregistré vingt-un morts, dont l’âge varie entre quatorze et trente-cinq ans. Huit des victimes sont des agents. On a aussi enregistré quatre autres morts à Kissidougou, Pita et Dalaba. Il y a une centaine de blessés et des dizaines de maisons incendiées.
Mon souhait le plus cher est que cela s’arrête, qu’on retrouve les coupables et que tous ceux qui sont responsables de cela répondent de leurs actes.
Interview réalisée par Ibrahima S. Traoré pour guinee7.com