Censure

Entretien avec Ismaël Keita, Président du patronat de Guinée (L’observateur du Maroc)

«Mon ambition est de donner un dynamisme nouveau au secteur privé » Ismaël Keita fait partie de la nouvelle génération d’entrepreneurs et hommes d’affaires qui souhaite changer le visage du secteur privée guinéen.

Aux Etats-Unis où il a effectué ses études, Ismaël Keita avait déjà une réputation de grand manager. Aujourd’hui, de retour en Guinée, il est à la tête du patronat depuis 2011 et patron d’entreprises évoluant dans le BTP, les NTIC, l’électricité, et le conseil en management.

Comment se présente le secteur privé guinéen ?

Ismaël Keita : C’est un secteur porté par un noyau dynamique d’hommes d’affaires, d’opérateurs économiques et d’entrepreneurs (jeunes et moins jeunes). Il est dominé par le secteur tertiaire. Le tissu de PME-PMI du secteur industriel et agricole est moins dense. Le domaine des services et des finances se développe à un rythme soutenu. Cependant, il est surtout caractérisé par le poids prépondérant des acteurs de l’informel ; ce qui fait qu’il peine à jouer encore, en dépit des reformes et des attentes de l’Etat, pleinement son rôle de locomotive de l’économie nationale. Notre ambition, est d’insuffler un dynamisme nouveau à ce secteur vital de notre économie sur le chemin de l’émergence.

Le secteur privé est un acteur majeur d’une économie frappée de plein fouet par l’épidémie Ebola. Jusqu’à quel seuil cela a impacté vos activités ?

Le virus Ebola a porté un coup dur à l’économie guinéenne. L’épidémie est venue briser l’élan de reprise économique qui pointait à l’horizon. Les reformes d’envergures menées par le gouvernement guinéen depuis 2011 avaient conduit à une stabilisation du cadre macroéconomique, à la bonne tenue de la monnaie et du taux de change, à l’allègement du fardeau de la dette extérieure avec l’initiative PPTE, laissant entrevoir de belles perspectives pour la croissance et le développement du pays. Le virus a stoppé net cet élan et surtout plombé l’économie. Le secteur touristique et hôtelier en a particulièrement souffert. La fermeture des frontières terrestres avec nos voisins a également sinistré toute la chaine de production et d’exportation des produits agricoles (plus de 150 milliards de francs guinéens de pertes sèches pour les producteurs de pomme de terre et d’ananas). Le secteur du BTP et des mines ont aussi été affectés, surtout avec l’arrêt à 80 % de la sous traitance et le départ de l’expertise étrangère à cause du virus. Quant au secteur des banques et assurances, le risque a provoqué la diminution des dépôts et l’insolvabilité de bons nombres d’entreprises.

Au plus fort de l’épidémie, quelle stratégie avez-vous déployé pour atténuer le choc de l’impact ?

Nous avons gardé notre sérénité et adressé un mémo au gouvernement l’invitant à agir vite afin d’éviter des faillites en cascade ou des dépôts de bilan des entreprises et PME affectées. Nous avons aussi sollicité des allègements fiscaux ou des moratoires de paiement des taxes et impôts, tout comme un règlement diligent de dette intérieure. Le patronat a surtout souhaité que l’Etat se pose en garant auprès des banques primaires pour obtenir un moratoire ou un étalement des échéances de paiement des prêts pour les secteurs sinistrés.

Le Tarif Extérieur Commun de la CEDEAO est entré en vigueur en janvier 2015. Apporte-t-il du nouveau pour le secteur privé ?

En Guinée, il va falloir d’abord combler le déficit d’information et de sensibilisation des acteurs du secteur privé pas tout à fait au bain du TEC ! À cause de la faiblesse de notre tissu industriel et des problèmes d’infrastructures de base (eau, électricité, routes, qualité de la main d’oeuvre), notre avantage comparatif est faible. Il faudra du temps pour profiter pleinement de ce tarif. Mais le salut de la Guinée réside bel et bien dans l’intégration économique régionale.

Le secteur privé guinéen soufre d’un problème de leadership. Comment régler ce handicap ?

C’est un vrai problème, le secteur privé guinéen a besoin d’une plateforme de concertation pour solder le lourd héritage de division et dissension ayant caractérisé ses structures patronales à cause des égos et des intérêts personnels. Le patronat de Guinée est conscient de ses faiblesses. C’est pourquoi nous sommes ouverts au dialogue et à la concertation pour trouver ensemble le cadre approprié permettant au secteur privé guinéen de parler d’une seule voix, face à l’état et face aux partenaires et investisseurs privés.

Comment se présente l’environnement des affaires en Guinée ?

Il y a un certain nombre d’améliorations sur le plan juridique et institutionnel, notamment avec la création de l’Agence de Promotion des Investissements Privés. Aujourd’hui avec le guichet unique, il est possible de créer son entreprise en moins d’une semaine. Il y a aussi eu un ‘’toilettage’’ du code des marchés publics pour garantir plus de transparence dans la passation. Un grand handicap demeure : les charges qui pèsent sur les entrepreneurs à cause de la faiblesse des infrastructures économiques de base (eau, électricité, routes), le coût élevé des services, le problème d’accès au crédit, l’absence de banques d’investissements ou de développement, la qualification de la main d’oeuvre et…la justice. Le gouvernement soutient et encourage le partenariat public-privé, mais il faut créer un environnement plus habilitant et compétitif pour permettre au secteur privé de contribuer à l’émergence économique du pays.

Comment comptez-vous gérer l’année électorale et ses convulsions sociales en 2015 ?

L’année électorale suscite toujours, et à juste raison, des inquiétudes. Mais nous restons confiants et pragmatiques. Le patronat de Guinée est apolitique certes, mais nous croyons au civisme et à la maturité politique des Guinéens. Les acteurs sociopolitiques de tout bord sauront mettre les intérêts supérieurs du pays au-dessus de tout, et donc éviter de plonger le pays dans la violence et la destruction. Surtout que la Guinée n’a pas fini d’amortir les chocs provoqués par l’épidémie Ebola. Il a besoin de stabilité et de sécurité pour son développement.

Ibrahim Ahmed Barry

L’Observateur du Maroc et d’Afrique

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