Censure

Fiction: Et si Sékou Touré revisitait la Guinée !

L’art de la fiction permet aux écrivains d’amuser et d’instruire les gens, il n’est pas interdit de les imiter. Et voilà Sékou Touré qui débarque en Guinée, en provenance du village des morts, pour revisiter son pays trois décennies après sa disparation.

Sékou se veut un bon touriste qui marche sur programme et pour un  séjour déterminé à l’avance. Il   s’habille en citoyen ordinaire, débute sa promenade par la visite de Kaloum, le cœur de la capitale guinéenne. Le voilà sur l’échangeur du 8 Novembre : «Comme c’est joli, s’exclame-t-il, cet ouvrage remplace si avantageusement le pont que j’ai fait construire en mon temps!»

La présence du centre culturel franco-guinéen ne l’étonne pas outre mesure parce que son régime avait déjà renoué avec la France, mais l’ex-cinéma du 8 Novembre n’est plus qu’un magasin  de vente aux mains d’un homme d’affaires privé. «Dommage ! » se dit-il. Un taxi le dépose au marché Niger, il continue à pied pour voir de près les choses à découvrir. De nombreux immeubles  jalonnent les rues, le visage de Conakry a beaucoup changé. Il demande à une jeune fille de bien vouloir le guider «Car, dit-il, j’arrive d’un pays étranger et je ne connais pas la ville».

Le guide le mène devant tous les départements ministériels, il s’en offusque pour le nombre pléthorique, puis s’arrête un moment devant le ministère de l’Unité Nationale et de la Citoyenneté. Des questions lui viennent à l’esprit : Les Guinéens ne sont donc plus unis ? Ont-ils perdu l’amour de la patrie, le sens du devoir civique ? Le nom « Sékoutouréyah »  donné à la présidence l’amène à avoir une pensée pieuse pour son successeur feu le général Lansana Conté. L’extension et la modernisation du port de Conakry sous la houlette d’un opérateur français le convainquent du retour en force de l’ancienne métropole.

Sékou et son guide s’embarquent à bord d’un taxi en direction de la banlieue. Les voilà au cœur de Madina, le plus gros marché de Conakry, ça grouille de monde et de véhicules, la circulation n’est pas aisée. La promenade à travers la banlieue va durer toute la journée, tantôt en voiture tantôt à pied. Sékou découvre les nouveaux quartiers des communes de Ratoma et de Matoto qui s’étendent jusqu’aux villes voisines de Dubréka et de Coyah. Il n’en croit pas ses yeux ni ses oreilles, au vu de la vie on ne peut plus trépidante des Conakrykas.

Les partis politiques et les syndicats se sont multipliés, la société civile s’active, les journaux, les radios et les télévisions privés ne se comptent plus ; la critique du pouvoir se fait de plus en plus virulente, particulièrement à l’égard du chef de l’Etat. Sékou met fin à son voyage en extériorisant les sentiments qui l’animent : «Comme le temps coule si vite ! Trente-deux ans sont passés et j’ai maintenant du mal à me retrouver dans Conakry. Un groupe restreint d’hommes et de femmes me gardent encore en leurs bons souvenirs, mais la majorité écrasante des Guinéens ne me connaît pas ou m’a relégué dans les oubliettes de l’histoire. Et comme on ne peut pas faire son temps et celui des héritiers, je vais me  hâter  de retourner au village des morts de peur de me voir trimballer à La Haye où croupissent des hommes politiques en rupture de ban avec leurs peuples ».

La jeune fille se rend compte après coup qu’elle a servi de guide à un homme peu ordinaire puisqu’il vient de disparaître par enchantement.

L'indépendant

Walaoulou  BILIVOGUI

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