Censure

Les fonds générés par la diaspora sont-ils profitables à la Guinée ?

L’argent de la diaspora est une question qui intéresse de plus en plus les gouvernements africains à cause du volume de ces fonds.  L’Etat guinéen ne dispose d’aucune statistique concernant le montant transféré annuellement par ses ressortissants vivant à l’étranger, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Des montants qui transitent  par des circuits informels, qui sont des agences de transfert, dont certaines échapperaient à tout contrôle. La question est de savoir si ces fonds qui arrivent ainsi au pays, dans la « clandestinité », profitent à l’état. Des avis divergent sur cette thématique que nous vous proposons dans ce dossier réalisé grâce à une initiative de l’Institut Panos, en partenariat avec le CECIDE.

Le fait d’affirmer que les fonds générés par la diaspora ne profiteraient pas à l’état guinéen est parfois contesté par certains experts en la matière. C’est le cas de Mamady Fofana, le directeur général du crédit et de change à la Banque Centrale de la République de Guinée, qui ne partage pas l’avis selon lequel, les ressources générées par la diaspora ne profiteraient pas à la Guinée. « D’abord je m’inscris en faux, en disant que les fonds de la diaspora ne profitent pas à l’économie guinéenne. Il faut voir l’économie dans son ensemble. Et ça commence d’abord par l’individu, ensuite il y a la famille. Et à une échelle beaucoup plus élevée, il y a le pays tout entier. Les fonds que la diaspora envoie, d’abord il y a des aides familiales, la commercialisation des fonds de la diaspora, la construction des bâtiments. Dans ce cas, les envois de fonds qu’ils font soit à leurs familles, soit à leurs amis, c’est les concours qui se font à l’économie. C’est tous ces investissements qu’on appelle investissement productif.  Donc, je ne peux pas accepter qu’on dise que ça ne profite pas à l’économie. Il ne faut pas penser que tout transfert qui n’est pas fait dans une Banque, que ça ne profite pas à l’économie. L’économie est un tout», souligne notre interlocuteur.

Tout en reconnaissant : « que la plupart de ces fonds sont envoyés dans des structures parallèles, autres que le système bancaire. Je peux comprendre, dit-il, parce que le système bancaire est un système organisé, ordonné qui répond à  certaines règles. Par contre, dans les autres structures parallèles, nous avons des bureaux de change que la Banque Centrale a officiellement agrées. A l’état actuel, nous devrons avoir une quarantaine de bureaux de change », indique le directeur général du crédit et de change à la Banque Centrale de la République de Guinée.

Pour finir, il précise « qu’il y a des bureaux de transfert qui sont officiellement installés, et qui ont l’agrément de la Banque Centrale. Tout ça c’est des systèmes qui sont mis en place pour faciliter les transactions monétaires au niveau du pays. »

Quant à l’enveloppe représentant  la valeur des fonds envoyés par la diaspora, qui échapperait annuellement à la Guinée, aucun chiffre ne serait disponible officiellement à ce propos.

C’est du moins ce que nous avons appris au niveau de la Banque Centrale. Les services de statistiques seraient toutefois en train de travailler là-dessus avec les bureaux de changes.

Des mécanismes à mettre en place pour réguler les transferts de fonds

A propos  des mécanismes que l’Etat pourrait mettre en place pour que les fonds générés par la diaspora soient profitables à la Guinée, un expert à la matière a tenté d’éclairer notre lanterne. Il s’agit de Camara Mohamed Bamba, Directeur National d’appui aux investissements et aux projets des Guinéens de l’étranger. Lui, non plus n’admet pas le raisonnement selon lequel, l’argent de la diaspora d’abord ne profiterait pas au pays. « Il n’est pas vrai de dire que ces fonds ne profitent pas à l’économie. On peut dire qu’on pouvait améliorer la rentabilité de ces fonds, pour les activités économiques en général. On sait que depuis longtemps, la Guinée était sous perfusion sur l’envoi des fonds de la diaspora. On sait aussi qu’en Guinée, le niveau de vie des familles, des villages, est aussi très fortement lié aux nombres de fils exilés », rappelle-t-il. « Donc, si un guinéen envoi de l’argent, quel que soit la nature de cet argent, il utilise cet argent pour aller faire des achats, c’est ça la TVA que l’Etat collecte pour faire tourner le commerce, pour faire fonctionner le petit débit de boissons. Mais on pourrait utiliser ces ressources  de façon judicieuse, en les orientant vers les investissements productifs », explique notre interlocuteur.

Pour M. Camara Mohamed Bamba, en moyenne « entre 2003-2006 on parle de plus de 286 millions d’euros que les Guinéens de l’étranger ont transféré vers notre pays. On pense que ce montant  transféré est largement en dessous des fonds transférés vers la Guinée. C’est pourquoi d’ailleurs dans le programme que nous avons voulu lancer à travers ‘’le plan d’action de la direction nationale d’appui aux investissements aux projets’’ qu’on a appelé ‘’le programme d’aide aux Guinéens du monde’’, on s’est engagé sur les envois de fonds qui atteignent les trois (3) milliards d’euros dans une période de trois à quatre ans», révèle-t-il.

Selon lui, « le premier point, s’est de canaliser ces fonds vers les structures formelles pour se faire. Il faut identifier les fonds, les frais de change, le coût de transfert très l’élevé des Banques. Une étude dit qu’il y a environ quarante pour cent de fonds envoyés de la Grande Bretagne vers l’Afrique, qui restent au niveau des Banques en Grande Bretagne. Nous apportons une solution pour revoir ces montants à la baisse », assure-t-il. Pour se faire, il affirme qu’un « mécanisme a été trouvé, devant permettre à la fois de transférer à des coûts plus-bas. Pour cela, on a signé un accord avec un groupe bancaire qui a réussi à nous proposer aujourd’hui les coûts les plus bas du marché de transfert en Guinée », indique-t-il. Ainsi, pour 6 mille euros transférés de l’Union Européenne vers la Guinée,  vous avez un coût de 8 euros, il y a beaucoup de structures qui proposent aussi bien que ça. »

Le deuxième point concerne « le problème d’accès à la devise. Les Guinéens de l’étranger qui transfèrent des fonds veulent toujours avoir leur argent en devise dans les banques. Nous sommes en train de voir une visibilité sur les mouvements de fonds vers la Guinée. De cartographier l’importance des envois de fonds », précise le Directeur National d’appui aux investissements et aux projets des Guinéens de l’étranger.

A  noter qu’une étude de la FAO, datant de 2010, chiffre  à environ 90 millions de dollars par an, les montants envoyés par la diaspora, qui échapperaient à l’état guinéen. Cela,  à travers les circuits formels. « Mais nous sommes convaincus que cela est largement en dessous des montants transférés en Guinée.  Car la majeure partie de ceux qui transfèrent en général, sont des gens qui nous envoient beaucoup d’argent », à en croire notre interlocuteur.

Cela étant, ces gens  ont besoin de trouver tous les montants transférés sur place. « Ils préfèrent passer par des agences attenant 10% ou 5%. Maintenant il appartient à l’Etat, dans une démarche de réponse globale, d’apporter des solutions à la question, à la problématique, à la fois de proposer des taux plus intéressants que le marché parallèle. Il faut que l’Etat crée une stabilité sur le marché, en faisant des descentes policières, en interdisant les échanges inégales des billets de Banque. Ils jouent contre la stabilité monétaire, et ils jouent dans l’inflation. Donc, Il faut que l’Etat veille à cela », recommande-t-il.

Joachim Lama, Directeur Nationale des Etudes Economique et de la Prévision au ministère des Finances, croit lui que les fonds qui sont envoyés par la diaspora sont difficiles à canaliser vers la production pour deux raisons principales. « La première est  qu’il s’agit d’abord de fonds privés et leur utilisation ne dépend pas de l’Etat. La deuxième difficulté est le manque  de cadres pour permettre à ces capitaux d’être canalisés, pour que l’Etat crée  des opportunités de développement, en les utilisant. Telles que la construction des infrastructures de base. Des écoles, des hôpitaux, la construction des forages », souligne-t-il.

Au niveau du département de l’Economie, notre interlocuteur reconnaît qu’il n’ya pas de chiffres exacts pour le moment concernant ces fonds envoyés de l’étranger.

Pour lui, si ces fonds étaient captés par le circuit officiel, cela pourrait servir à  financer l’épargne, pour employer des activités productives, au lieu que tout soit dirigé vers la consommation immédiate.

Sur les opportunités de développement qui pourraient être réalisées par ces fonds s’ils transitaient dans les banques.

Le Directeur National d’appui aux investissements et aux projets des Guinéens de l’étranger trouve que ces fonds  pourraient permettre à la Banque Centrale d’avoir une meilleure visibilité de la masse monétaire. Et que cela pourrait permettre à l’Etat « de mieux juguler le phénomène d’inflation, de faciliter aux investisseurs d’accéder aux crédits, de créer de l’emploi pour les chômeurs, de créer de la productivité et de la richesse. »

Sur le choix  des agences de transfert en lieu et  place des banques

Sur la question, Bah El hadji Saikou, Guinéen résident en Belgique, en séjour en Guinée, pense que  ce problème se situerait à trois niveaux. « Le premier selon lui, concerne la fiabilité au niveau des agences de transfert, alors que  dans les banques, il y a toute une procédure à suivre. La deuxième raison porterait sur le fait que ce n’est pas tout le monde qui a des papiers en Occident. Et qu’on ne peut se présenter devant une banque, pour envoyer de l’argent à ses parents, sans avoir de papiers. La troisième raison, concerne dès fois les cas de fraudes enregistrés  au niveau  de certaines institutions bancaires, dit-il. Avec  des agents des banques qui soutireraient de l’argent envoyés à des clients aux  parents. A cela, s’ajoute le coût élevé du transfert.  C’est ce qui expliquerait aussi cette méfiance vis-à-vis des banques », justifie-t-il.

Aminata Camara, une Guinéenne vivant en France est aussi du même avis. « C’est à cause de la rapidité et la fiabilité dans les agences de transfert, que nous boudons les banques. Et vous savez que le Guinéen aime toujours la facilité. Et dans les banques, il y a une lenteur qui ne dit pas son nom », selon elle.

Avec son époux, les deux se relaient au pays. Même si c’est elle qui passe plus de temps en Guinée.  Le couple préfèrerait les agences de transfert, pour éviter les complications au niveau de la procédure bancaire.

Elhadji Boubacar Bah, Directeur de l’entreprise WAFRICA SOLO ETOILE Sarl, une agence de transfert, a aussi réagi sur la question. Selon lui,  il y a certains compatriotes basés à l’étranger qui n’auraient pas de papiers, pour effectuer les transactions au niveau des banques. A cela s’ajoute, le coût très élevé des prélèvements dans les banques.

« Pourtant, nous payions les mêmes taxes et les mêmes impôts. Tous les bureaux qui font les transferts sont agrées et reconnus par la Banque Centrale. Nous avons les mêmes agréments, malgré tout, il y a des bureaux fictifs qui font des transferts clandestinement. Mêmes nos représentants qui sont en Europe payent leurs taxes là-bas », explique notre interlocuteur.

Enquête réalisée par Moussa Traoré (L’Indépendant) 

 

 

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