Censure

Mohamed Camara, juriste : ‘‘La faute est aux acteurs politiques qui n’ont pas voulu d’une Céni technique’’

Mohamed Camara, juriste, analyste politique, a accordé une interview à notre reporter. Il se prononce entre autres sur la demande d’annulation du scrutin par l’opposition, du déroulement du processus électoral en cours, etc. Interview.

Guinee7.com : M. Camara, quelle lecture faites-vous de la demande d’annulation du scrutin par l’opposition ?

Je pense qu’il faut faire la genèse de cette histoire. En Guinée, quand il y a élection, la Ceni a 72 heures pour rendre public les résultats. Ce n’est pas dit au dépôt du dernier procès-verbal. Ça  c’est pour  simplement une opération tendant à faire la centralisation, donc le recensement général du vote. C’est à l’article 162 de la loi électorale. Et l’article 163 est très clair : c’est dans les 72 heures que l’on doit faire tout ce travail. C’est clair.   Les bureaux de vote sont ouverts à 7 heures du matin, c’est clos à 18h. De la fermeture des bureaux de vote jusqu’à 72 heures, la Ceni n’a pas à organiser une autre élection, c’est de ce travail dont il est question.

Mais lors d’une conférence de presse, le responsable juridique de la CENI a affirmé que c’est à la réception du dernier PV que le décompte commence…

Ce que je vous dis, c’est qu’il faut respecter les textes. On n’interprète pas ce qui n’est pas à interpréter. Ce qui est clair ne peut pas être interprété. La Ceni dispose de 72 heures pour rendre public les résultats. Les partis politiques disposent de 5 jours francs juste après la publication des résultats provisoires pour porter plainte. Quand il y a une plainte introduite, la Cour Suprême examine ces plaintes là au bout de 10 jours. S’il n’y a pas de plainte introduite, le huitième jour de la publication des résultats provisoires par la CENI, la Cour suprême proclame les résultats définitifs. Voilà la question des délais. Maintenant, à 72 heures par rapport à l’immensité du travail qui est demandé, ça c’est un autre débat.

Si la CENI est dans les difficultés parce qu’il y a des problèmes au niveau des Procès-verbaux, des difficultés sur le terrain, l’éloignement des lieux, en ce moment il n’appartient ni au gouvernement d’interpréter les textes de lois, ni à  la CENI d’interpréter les textes de lois, ni à l’opposition, ni de la classe politique dans son entièreté d’interpréter les textes de lois, même le député qui a voté la loi n’est pas habilité à interpréter la loi. L’interprétation des textes de lois appartient au juge. Ainsi, quand la CENI est un peu coincée, il appartient à la CENI de se déplacer vers la Cour suprême pour proroger ce délai. Comme ça été fait le 27 juin 2010. Là, ça couvre la CENI contre toute supputation. Et comme ça été fait entre les deux tours à l’élection présidentielle, quand la Guinée a battu le record mondial de 4 mois et quelques jours en lieu et place de 14 jours, il a fallu une ordonnance de la Cour suprême pour proroger. Il n’appartient pas à un leader de s’autoproclamer au niveau des résultats qu’il soit de la mouvance ou de l’opposition. Ce travail appartient à la Ceni de proclamer les résultats provisoires.

Il n’appartient pas à la CENI d’interpréter les lois. La CENI n’est pas aussi compétente à annuler un scrutin. En Guinée, sur la base des dispositions pertinentes à commencer par les articles 165  de la loi électorale, parce qu’en Guinée, on n’a pas un code électoral. Un code électoral sérieux a toujours deux parties  à savoir la partie législative et la partie réglementaire. La partie législative commence par les termes du genre article L1, L2, voulant dire loi donc la partie législative. Maintenant, cette partie législative peut être complétée avec des détails pointus au niveau de la partie réglementaire qui s’identifie par des termes du genre article R1, R3, R4.

Donc en Guinée, la CENI ce qu’elle peut faire, c’est d’annuler certains procès-verbaux et avant, c’était seul le Président de la CENI qui pouvait le faire.  Mais les membres du CNT ont amendé l’article 162  de la loi électorale pour permettre cette fois-ci à un tiers des 25 membres, soit 17 sur les 25 membres qui peuvent invalider un procès-verbal. Mais pas annuler un scrutin. Pour annuler un scrutin, ou modifier partiellement les résultats, ça relève du ressort de la Cour suprême. Il appartient à la Cour Suprême au vu des requêtes qui sont introduites par les plaignants, de voir est –ce que la gravité de ces plaintes est de nature à jouer partiellement ou totalement sur le scrutin. Si, c’est partiellement, la Cour va modifier partiellement les résultats, si c’est total, la Cour suprême va annuler le scrutin. Et à ce moment, il y aura une élection dans les 60 jours qui suivent.

Pour le cas spécifique de ce scrutin, est ce qu’il y a eu des irrégularités qui font qu’il faut annuler ce scrutin ?

Il appartient au juge d’apprécier ces allégations pour dire est-ce que c’est de nature à entacher la crédibilité ou pas du scrutin.  Ça, c’est du ressort du juge. Mais en tant qu’observateur et analyste politique, je pense que les acteurs politiques dans leur entièreté ont voulu qu’on soit dans cette crise. Depuis le départ, ils n’ont pas voulu d’une CENI technique. Ils ont voulu d’une CENI ou ils veulent tous être et influencer sur le cours du fonctionnement de la CENI. Poussant à violer ainsi le serment prêté au niveau de la Cour suprême par les Commissaires. Parce que 80 pour cent des membres de la CENI sont des membres des partis politiques soit 20 sur 25. Il y a qu’on a privilégié plus le consensus que les textes de lois. Et finalement, même le délai de 84 jours, de l’accord du 3juillet, finalement on a colmaté les brèches et finalement sachant bien que la CENI n’a pas l’expertise nécessaire pour réaliser cette élection, mais ils se sont tus là-dessus pour y aller simplement. Parce que les acteurs de la mouvance et de l’opposition, chaque  camp est en train de surfer sur des vagues pour se livrer à un certain nombre de préliminaire ou de phases préparatoires de l’échéance 2015. Leur combat n’est pas pour ces élections législatives, c’est pourquoi il y a un regain pour ces élections, pour permettre qu’en cas de majorité de la part de l’opposition, de répondre au pouvoir pour dire que le mandat que vous êtes en train de gérer on a toujours dit que ça nous a été volé et voilà le cas. Et deuxième exemple, vous avez été sanctionné à mi-mandat, il ne faut pas compter sur un deuxième mandat. Et le pouvoir veut avoir également cette majorité pour répondre à cette opposition et dire : vos faits, et vos gesticulations et tout ce qui a été donné comme tintamarre dans la rue, ça n’a pas ébranlé la population parce que cette dernière continue d’avoir confiance au pouvoir. Voilà un peu le jeu. Finalement ç’a débuté par les négociations, tout le processus a continué par des négociations.

Par ailleurs, la réclamation de l’annulation de ce scrutin découle du discours de N’Zérékoré quand le pouvoir public a affirmé qu’après les élections, il n’y aura rien, calmez-vous. Ce qui a pour conséquence de rassurer une population qui baigne dans l’anxiété de l’après élection. Mais, c’est une réponse à peine voilée au niveau des adversaires politiques pour dire : voilà l’Etat prendra ses responsabilités.

Et finalement, l’opposition pouvait voir en ces termes une volonté de faire un passage en force pour arracher une victoire au forceps. Donc, ils mettent la barre à un niveau très élevé pour encore en faire une surenchère et dire il faut annuler. Alors que dans la pratique, est- ce que la Guinée peut s’arroger le luxe d’annuler un scrutin aussi coûteux, aussi ennuyant, aussi long, aussi difficile et stressant ? Toujours est –il que les acteurs politiques de la mouvance et de l’opposition ne comprennent pas les différents conseils qui sont prodigués au jour le jour, je crains bien un balayage de printemps à travers un mécontentement de la population pour dire qu’on ne trouve de la satisfaction nulle part : ni de la part de ceux qui dirigent, ni de la part de ceux qui prétendent diriger.

Parce que, ceux qui dirigent, justifient simplement les difficultés en faisant un regard dans le rétroviseur depuis 50 ans, en faisant passer des personnes qui peuvent bien lire l’histoire et la préhistoire du pays. Et ceux de l’opposition plutôt que de faire des propositions concrètes parce qu’il ne faut pas simplement s’opposer, il faut faire aussi des propositions alternatives. Ils ne le font pas et font toujours recours à la rue pour ainsi faire le rappel des troupes au niveau de leurs propres militants et puis pour simplement effrayer le pouvoir.

Et un jour, ils n’auront pas la possibilité de calmer leurs propres militants à la base. Parce que, ça deviendra l’effet boomerang. Pour que tout le monde puisse jouer son rôle dans un Etat, il faut que la justice joue bien son rôle et qu’elle soit réellement indépendante. Mais celui qui peut rendre la justice indépendante, c’est le pouvoir d’abord et après ce sont les juges eux même. Parce que même si vous avez votre indépendance, il faut que vous puissiez acquérir votre indépendance interne. En le faisant, je pense que vous aurez rassuré non seulement les citoyens, mais aussi les partenaires au développement pour venir accompagner le pays. Et puis ça peut permettre à beaucoup de Guinéen ou d’autres personnes de bonnes volontés qui sont pétris de talents, de connaissances, mais qui préfèrent par mesure de prudence se mettre à la réserve de la République.

Quel est le message que vous lancez aux acteurs politiques toutes tendances confondues ?

C’est faire preuve de beaucoup de calme et de sérénité. Parce qu’on est dans une configuration où le pouvoir doit écouter un conseil et l’opposition doit aussi écouter un conseil. C’est surtout les ténors.  Il faut que des deux côtés fassent beaucoup attention parce que la Communauté internationale a beaucoup œuvré, la population est dans la lassitude. Si, le désamour politique s’installait, je crains fort que la population ne tourne dos aux deux camps. Ce sera vraiment incontrôlé. Ce qu’on ne souhaite pas dans notre pays. Il faudrait que les discours venant des pouvoirs publics soient de nature à rassembler les Guinéens. Il faudrait que les discours des acteurs politiques qui se rabattent sur des fibres ethniques cessent. Car ce n’est pas une bonne chose. En général quand vous voyez un pouvoir  surfer sur des relents de ce genre, ça veut dire que ça peine à faire des résultats. Parce que c’est pour mettre en éveil un électorat naturel et si vous voyez une opposition surfer sur ces vagues dangereuses, c’est par manque d’actions programmatiques et de mettre en éveil son électorat naturel pour effrayer le camp adverse.

Donc, l’un dans l’autre, je pense que ce ne sont pas des stratégies efficaces pour le pays. A la population de savoir que quand quelqu’un se présente à une élection, il faut faire un bon choix. Et qu’il ne faut pas écouter quelqu’un qui vient vous diviser, dites aux gens : vous êtes capables de faire quoi pour nous ? Pendant combien de temps ? Avec quelles ressources ? Les ressources vont être issues d’où ? Et quels sont les indicateurs de performances qui nous permettront de vous évaluer objectivement, sans faire de procès d’intention, ni de jugement de valeurs ? En le faisant, ça permet à chacun de s’améliorer au fur et à mesure.

Interview réalisée par El Hadj Mohamed Diallo

 

 

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