Censure

Nouvelle loi française sur l’immigration : Résidents assimilés, « sans-papiers » assignés (Partie 3)

Un pas en avant, deux pas en arrière. Cette nouvelle fait un bon pas en avant en facilitant la transparence des procédures d’expulsion et l’accès aux soins des étrangers souffrant de graves pathologies. C’est tout à l’honneur de la France. Mais elle fait deux pas en arrière en confortant des idéologies discutables sur l’identité nationale française (Généralisation de l’assimilation des résidents étrangers), et des pratiques critiquables sur l’expulsion des étrangers sans titre de séjour (Généralisation de l’assignation à résidence). C’est un heurt sur les immigrés en France.

Un pas en avant : plus de transparence dans les procédures d’éloignement et plus de droits pour les étrangers malades.  

En 2010, nous avons été au centre du combat pour une démocratisation de l’assistance juridique aux étrangers « sans papiers » enfermés dans les centres de rétention administrative, et dans les zones d’attente pour personnes  en instance d’expulsion. Contrairement aux ONG qui plaidaient pour le maintien d’un monopole dans cette mission, nous pensions que les droits les étrangers seraient mieux défendus si plusieurs acteurs intervenaient pour ce faire. Le gouvernement de Nicolas SARKOZY nous avait donné raison en brisant le monopole qui existait. Avec cette nouvelle loi, le gouvernement de François HOLLANDE nous donne raison en permettant aux journalistes  titulaires d’une carte professionnelle d’accéder aux lieux de rétention des étrangers. Cela aidera à la transparence des procédures, et à la défense des droits et libertés individuels des immigrés sur le point d’être expulsés.

Une autre réclamation que nous faisons depuis des années vient d’être satisfaite avec cette nouvelle loi : L’étranger vivant habituellement en France, qui souffre d’une maladie dont le défaut de traitement pourrait entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, pourra plus facilement accéder aux soins en France. Auparavant on lui refusait un titre de séjour lui permettant de soigner sa pathologie en France, dès que l’administration considère qu’il existe dans son pays un système de santé susceptible de le prendre en charge. Dorénavant, pour que l’administration puisse lui refuser le titre de séjour « Etranger malade », il faut non seulement que  le système de santé dans pays d’origine offre un traitement approprié, mais encore il faudra qu’il puisse avoir un accès effectif à ces soins. C’est une avancée considérable ! Seul bémol, les médecins chargés de contrôler la nécessité des soins en France sont maintenant  sous le contrôle de l’administration, qui devient à la fois juge et partie dans ces procédures.  C’est regrettable !

Un pas en arrière : retour aux exigences d’assimilation dictées par l’identité nationale.

A partir du 8 mars 2018, les africain(e)s qui disposent d’un titre de séjour temporaire en France ne pourront plus obtenir une carte de résident si leur niveau de français n’est pas suffisant. Ainsi, la pauvre dame malienne ou sénégalaise, qui a toujours travaillé en France dans des métiers sans qualification où on ne souciait pas de son niveau de langue (femme de ménage, aide à domicile, etc.), sera condamnée à la précarité administrative si elle ne va pas à l’école pour obtenir un bon niveau de français. L’ouvrier africain qui aura travaillé 25 ans en France, et aura ainsi participé à son développement économique, aura plus de mal à faire venir sa femme illettrée restée à Kayes (Mali), à Matam (Sénégal) ou à Yopougon (Côte d’Ivoire). Est-ce légitime ?

Si l’étranger doit faire l’effort de connaître et respecter  les valeurs essentielles et les principes de la société et de la République françaises, d’avoir une connaissance minimale de la langue française pour son intégration socioprofessionnelle, il parait démesuré d’exiger de lui qu’il se dépouille de son identité culturelle d’origine, où qu’il ait un niveau élevé de langue française pour jouir de son droit fondamental à une vie privée et familiale normale. Ce droit, consacré par la convention européenne des droits de l’homme et légiféré par la France dans son code des étrangers, tend à devenir une coquille vide. Si on appliquait la même règle aux français vivant au Mali, au Sénégal ou au Congo, en exigeant d’eux qu’ils parlent couramment Bambara, Wolof ou Lingala pour leur intégration sociale, ils déserteraient certainement ces pays. En effet, ils peuvent y vivre des décennies sans connaître un mot de leurs langues, hormis des salutations usuelles comme « I ni sogoma »,  « Na nga deff »  ou « Mboté ». Ce renforcement du degré d’assimilation, qui peut se justifier pour l’étranger qui souhaite devenir français par la naturalisation,  parait excessif pour le résident étranger.

Un deuxième pas en arrière : Généralisation de l’assignation résidence pour les étrangers sans titre de séjour.

Par cette loi, le législateur français a voulu éviter la privation de liberté aux étrangers en procédure d’éloignement, en privilégiant l’assignation à résidence à la rétention administrative. Toutefois, en faisant de l’assignation à résidence la règle de droit commun, il risque d’y avoir une généralisation de cette pratique. Par ailleurs, à partir du moment où elle est assortie d’une obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou à la gendarmerie, l’assignation à résidence devient une privation de liberté. Les malheurs de l’assignation à résidence des étrangers sans titre de séjour, dont la durée maximale peut atteindre 12 mois avec la nouvelle loi,  peuvent être plus dévastateurs que la rétention administrative.  En plus du sentiment de culpabilité et d’humiliation vis-à-vis des proches et de l’entourage, l’assignation à résidence empêche l’étranger d’avoir une vie normale. Elle génère le sentiment d’être arrimé au rang d’un délinquant condamné, exécutant une peine de remplacement ou soumis au port d’un bracelet électronique. L’étranger assigné à résidence, qui ne souhaite pas être reconduit dans son pays d’origine, peut être tenté de se soustraire à la procédure d’éloignement. Mais s’il ne  rejoint pas la résidence où il est assigné, ou quitte celui-ci sans autorisation administrative, il risque 3 ans de prison. S’il ne respecte pas l’obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou à la gendarmerie, il risque un an de prison. Psychiquement, le fait d’être enfermé chez soi pendant 12 mois, de risquer la prison à chaque fois qu’on manque de pointer à la police, et de savoir qu’à chaque moment la police peut frapper à notre porte pour venir nous expulser, peut être plus destructeur que 45 jours en centre de rétention. Malheureusement cette souffrance individuelle et indicible de l’assignation à résidence, loin des cameras et des medias, rongera de plus en plus d’immigrés en France.

Aliou TALL,

Président du Réseau Africain de Défense des Usagers, des Consommateurs et du Citoyens (RADUCC)

 

 

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