Censure

Ouverture de la session budgétaire : Voici le le discours diagnostic Claude Kory Kondiano

Les travaux de la session budgétaire de l’Assemblée Nationale ont été ouverts ce matin  pour l’examen et l’adoption de la loi de finances initiale 2015. A cette occasion, le Président de l’Assemblée Nationale, Claude Kory Kondiano a prononcé un discours diagnostic qualifié par des observateurs d’allocution assez révélatrice de la situation économique et sanitaire de la Guinée. Nous vous proposons l’intégralité de ce texte évocateur.

‘‘Monsieur le Représentant  du Président de la République,

Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement,

Mesdames et Messieurs les Présidents des Institutions Constitutionnelles,

Mesdames et Messieurs les Membres du Gouvernement,

Monsieur le Gouverneur de la Ville de Conakry,

Mesdames et Messieurs les Membres du Corps Diplomatiques et Consulaires,

Mesdames et Messieurs les Représentants des Institutions Internationales,

Mesdames et Messieurs les Représentants des Chambres Consulaires, des Centrales Syndicales, des Organisations de la Société Civile,

Révérends représentants des Confessions Religieuses.

Monsieur le Chef d’Etat Major Général des Armées et les Chefs d’Etat Major particuliers,

Monsieur le Haut Commandant de la Gendarmerie Nationale,

Monsieur le Directeur Général de la Police Nationale,

Monsieur le Directeur Général de la Douane,

Honorables Députés.

Distingués Invités,

Mesdames, Messieurs, 

Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue et de vous remercier d’avoir répondu à  notre invitation d’assister à la cérémonie d’ouverture de la deuxième Session Ordinaire de l’Assemblée Nationale consacrée à l’examen et à l’adoption du budget de l’Etat.

Comme vous le savez déjà, celle-ci démarre dans un contexte particulier de crise économique et sanitaire que connait notre pays depuis maintenant près d’une année et dont les conséquences influencent négativement toutes bonnes actions engagées par le Gouvernement pour la relance de l’économie Guinéenne.

A l’arrivée du Gouvernement de la Troisième République au pouvoir en novembre 2010, la situation économique du pays était très profondément dégradée au point que tous les principaux agrégats macro-économiques étaient au rouge. C’est ainsi que :

–         le déficit du solde de base du budget de l’Etat représentait 14% du PIB ;

–         ce solde était entièrement financé par la création monétaire, au moyen de l’endettement du Trésor auprès de la BCRG dont le montant se chiffrait à 6.456 Milliards de Francs Guinéens et l’accumulation d’arriérés de paiements extérieurs ;

–         l’inflation avait atteint 21% en fin décembre 2010 ;

–         les réserves de change s’étaient amenuisées au point qu’elles représentaient moins d’un mois d’importations ;

–         le différentiel de change entre le taux de change du marché officiel des devises et celui du marché parallèle était de 20%, on a alors assisté à un avilissement de la valeur interne et externe de la monnaie nationale,

–         le niveau de la dette extérieure représentait 70% du PIB.

Pour redresser cette situation très difficile, il a fallu concevoir et mettre rapidement en œuvre des mesures de stabilisation des principaux équilibres macro-économiques.

Cela s’est fait, avec beaucoup de rigueur à l’aide d’un programme formel, puis d’un programme triennal de référence avec le FMI, appuyé de la facilité élargie de crédit. C’est la première fois, depuis la Première République, que la Guinée exécute, sans interruption, un programme avec cette institution en respectant tous les critères de réalisation tant quantitatifs que qualitatifs.

Cette politique de rigueur a permis au Gouvernement de stabiliser le cadre macro-économique, de s’attirer la confiance de la Communauté Internationale et de susciter l’engouement des investisseurs potentiels et réels pour la Guinée. Tout cela, a été couronné par l’atteinte, en septembre 2012, du point d’achèvement de l’initiative renforcée d’allègement en faveur des pays pauvres très endettés (IPPTE). L’atteinte de l’initiative renforcée d’allègement en faveur des pays pauvres très endettés (IPPTE) a permis à la Guinée de bénéficier de l’annulation des 2/3 de sa dette extérieure et de relancer l’économie qui a enregistré un taux de croissance de 4,5% en 2012 contre 4% en 2011 et 1,9% en 2010. 

Malheureusement, ce rythme a été rompu en 2013 avec les remous  sociopolitiques, le ralentissement brutal des activités  des sociétés minières, notamment l’arrêt de l’Usine de FRIA et la suspension des investissements de RIO TINTO. Et maintenant, c’est la fièvre hémorragique à virus EBOLA qui vient aggraver cette évolution négative dont les conséquences sanitaires, économiques et, par ricochet, budgétaires sont très lourdes. Par exemple, par rapport aux prévisions budgétaires pour l’exercice 2014, les recettes ont été en baisse de plus de 500 Milliards de Francs Guinéens à date. Ce qui peut rendre impossible l’atteinte en termes de croissance de l’objectif de 3,5% du PIB initialement prévu. Les statistiques du FMI estiment que la Guinée va perdre cette année entre 1,5% et 2% de croissance. Il est peu probable que cette tendance puisse s’inverser au cours de l’exercice budgétaire de 2015.

A cette politique budgétaire restrictive va s’ajouter une politique monétaire encore plus rigoureuse que celle qui est actuellement en vigueur. Cela risque, évidemment, de ralentir la croissance économique du pays. On pourrait, toutefois, minimiser cette évolution en ayant recours aux recettes minières exceptionnelles et à d’autres ressources additionnelles provenant des aides d’institutions bilatérales et multilatérales, telles que la Banque Mondiale, la Banque Africaine de Développement, l’Agence Française de Développement, l’USAID, le PNUD, l’UNION Européenne, etc. 

Le déficit  budgétaire causé par l’épidémie EBOLA est estimé à plusieurs millions de dollars.  

Distingués Invités,

Honorables Députés, 

Oui ! Vu la situation très difficile dans laquelle la Guinée se trouve actuellement et qui risque de continuer jusqu’ en 2015, vu l’ampleur des efforts que les autorités sont entrain de déployer et vu la faiblesse des moyens requis pour leur permettre de juguler EBOLA et relancer l’économie, il est urgent que les partenaires au développement assistent notre pays avec davantage de moyens.

Je remercie les autorités du FMI, de la Banque Mondiale et de la BAD qui se proposent d’accorder des appuis budgétaires à notre pays pour lui permettre de contenir les moins values induites par le ralentissement des recettes intérieures, provoqué par la fièvre hémorragique à virus EBOLA.

Je souhaite vivement que tous les pays amis de la Guinée emboîtent le pas à ces Institutions en lui accordant des subventions d’équilibre budgétaire substantielles pour l’accompagner plus efficacement dans sa lutte pour relancer la croissance économique et vaincre EBOLA.

La fièvre hémorragique à virus EBOLA est, je parle sous le contrôle des spécialistes ici présents, apparue en Guinée vers le mois de décembre 2013. Mais, c’est seulement en mars 2014 qu’on a réalisé qu’il s’agissait bien de cette maladie.

Malgré que la maladie soit apparue sur le continent africain avec les premiers cas enregistrés en RDC et au Soudan en 1976, les autres pays africains  ne semblaient jamais avoir imaginé qu’ils en seraient un jour atteints. Ce fut un tort  puisque 18 ans et 19 ans plus tard (1994 et 1995 respectivement), la Côte d’Ivoire et le Libéria furent atteints mais pour une courte durée (pendant un an seulement pour chacun des deux pays). Le Gabon aussi n’a été touché que pendant un an (1996).

Mais dans la mesure où l’épidémie a perduré dans certains pays africains comme la RDC où elle est revenue en 1977, puis en 2001 pour s’y installer jusqu’en 2005, le Soudan où elle a refait surface en 1979 et en 2004, toute l’Afrique Noire devait travailler en synergie pour empêcher qu’elle ne continue pas sa progression. Cela ne fut pas fait. C’est en partie pour cette raison qu’il convient de rendre tous les pays du continent responsables de la situation dont souffre aujourd’hui tous les pays atteints par l’épidémie.

Par ailleurs, pour être pris au sérieux, nous devons, Chers compatriotes, mettre fin à ce débat pour faire face à la crise sanitaire et économique à laquelle est confrontée notre pays. Vu la gravité de la situation, il faut plutôt que nous taisions nos différences et nos rancœurs pour unir nos forces dans le combat que le Gouvernement est entrain de livrer avec conviction et acharnement, contre EBOLA afin de bouter l’épidémie hors de notre pays.

Permettez-moi d’ouvrir la parenthèse pour vous dire que, autant que la maladie EBOLA, les sentiments de rejets des autres qui habitent certains de nos compatriotes à cause du fait qu’ils sont différents d’eux sont destructeurs pour la stabilité politique et sociale, la paix, le développement et la croissance économique du pays.

Il faut dire que c’est surtout au niveau des élites que se remarquent ce genre de comportements. Aux uns et aux autres je tiens à dire que ni la naissance, ni le savoir, ni la richesse ne confèrent des droits. Ce qui confère des droits à une personne, c’est son utilité pour la société, son utilité politique, son savoir faire et son savoir être.

S’agissant de la lutte contre EBOLA, elle a tardé à être vigoureuse comme elle l’est maintenant par manque de moyens et parce que, pour des raisons citées plus haut, la maladie n’était pas du tout connue en Guinée.

En second lieu, force est d’admettre que le Gouvernement a été fortement contrecarré dans son action par des comportements de résistance à la pénétration des équipes de sensibilisation et médicales dans les Zones infectées. De Macenta où a commencé ce mouvement, à Forecariah, en passant par Guéckédou et N’Zérékoré, c’est bien la désinformation des populations par une main invisible constituée par des élites, qui est a la base de ces révoltes aux conséquences catastrophiques tant pour la santé des populations que pour l’économie du pays.

Aussi voudrais-je, à partir de cet hémicycle, m’adresser à vous Chers compatriotes de Macenta, Guéckédou, N’Zérékoré et Forécariah pour vous dire haut et fort que ceux qui vont pour vous sensibiliser et chercher à vous protéger contre la contamination ne peuvent pas être vos ennemis. C’est plutôt parmi ces mains invisibles, entendez certaines élites qui vous désinforment, que se trouvent vos ennemis. En vous livrant à une telle violence qui va jusqu’aux tentatives de crimes ou crimes parfaits, à Guéckédou et à N’Zérékoré, vous donnerez à chacune de vos Préfectures l’image des lieux à ne pas fréquenter et où il ne fait pas du tout bon d’aller investir.

A l’opposé de ces acteurs qui se plaisent dans ce rôle de pyromanes, nombreux sont les compatriotes qu’il convient de féliciter chaleureusement parce qu’ils se sont impliqués dans la sensibilisation, au risque parfois de leur vie. Je tiens à les féliciter, à les encourager à continuer jusqu’à la fin du combat.

Je félicite tous les membres du Gouvernement, particulièrement les Ministres de la Santé et de la Communication, ainsi que tous leurs collaborateurs qui les accompagnent. Mes félicitations vont également à Médecin Sans Frontières, l’OMS, la Croix Rouge, CDC-ATLANTA et l’UNICEF. Je n’oublierai  pas nos Partenaires Techniques et Financiers sans l’assistance desquels la Guinée n’aurait pas, à elle seule, pu parvenir aux résultats actuels dans la lutte contre EBOLA. 

Distingués Invités,

Honorables Députés, 

Face à cette situation sanitaire dramatique dans laquelle se trouve le pays, l’Assemblée Nationale n’est pas restée indifférente par ce que nombreux sont ceux d’entre nous qui ont activement, voire financièrement, contribué au combat contre EBOLA dans toutes les Préfectures. Qu’ils en soient vivement remerciés.

Mais, alors que presque tous les Honorables Députés ont, chacun, une idée très claire sur le rôle que le peuple dont nous sommes les représentants, nous demande de jouer en son nom durant notre mandat, un certain nombre d’entre nous naviguent à contre courant de cette volonté.

En effet, avec leurs déclarations incendiaires, ils se livrent à la diffamation, à des injures, à l’incitation à la haine, et au soulèvement, j’en passe.

Face à ces comportements qui n’honorent pas les intéressés et qui ne font que ternir l’image de notre Institution, je vous invite, Chers collègues, à réfléchir ensemble pour trouver une solution à ce lancinant problème. Cela d’autant plus que les victimes de leurs agissements se trouvent, non seulement parmi les Députés, mais aussi les Ministres, voire le Président de la République.

C’est le lieu, pour moi, d’attirer l’attention du Pouvoir Exécutif sur le fait que les fonctions de Président de la République, de Président de l’Assemblée Nationale,  de Représentants du Peuple  et de Ministre de la République sont des fonctions protégées par la loi. Pourquoi donc la justice reste-t-elle toujours indifférente dans notre pays face à la violation de la loi dans ce domaine,  alors que dans tous les pays du monde, le Procureur Général est très vigilant et toujours prêt à intervenir dès que les Institutions sont bafouées. Ici, il est inaudible, comme si la fonction était inexistante dans la hiérarchie judiciaire dans notre pays.

J’invite donc le Gouvernement à prendre l’exemple sur les autres pays où le Procureur Général est toujours en première ligne pour faire barrage à la chienlit avant que n’interviennent les forces de l’ordre.

S’agissant des rapports entre l’Assemblée Nationale avec l’Exécutif, ils ne sont pas toujours bien compris par ceux qui sont chargés de les gérer.

En effet, ils ne comprennent pas que l’autonomie financière de l’Assemblée Nationale procède du principe de la séparation des pouvoirs entre l’Exécutif et le Législatif, consacrée par notre Constitution.

Aussi, ne faut-il pas perdre de vue le fait que l’Assemblée Nationale est entièrement autonome et ne doit donc, en rien, être influencée par l’Exécutif tant pour l’établissement de son budget que pour le décaissement du montant de celui-ci, qui doit s’effectuer en une seule tranche et non pas par tranches trimestrielles comme cela se fait actuellement.

Pour ce qui est de l’insécurité, beaucoup d’efforts ont été déployés par les services compétents. Force est de reconnaître que les résultats de la lutte contre le grand banditisme sont palpables, même s’il ya encore beaucoup à faire. Il convient donc de féliciter les hommes de sécurité tous corps confondus, en les exhortant à en faire davantage. Il est, par exemple, anormal que l’exercice, de leurs activités en toute liberté par les sociétés de téléphonie ne préoccupe pas du tous les services de sécurité, alors que cela constitue l’une des véritables causes d’insécurité.

A Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances et à Monsieur le Gouverneur de la Banque Centrale, je dois rappeler que le dossier de la BADAM est un dossier très sensible dans la mesure où ses implications économiques, sociales et politiques peuvent être dévastatrices pour les déposants et l’économie du pays, tout comme elles peuvent l’être sur le plan politique.

Il est donc urgent de procéder au remboursement des déposants de cette banque. Cela d’autant plus qu’il ya des précédents à travers le monde et même dans notre pays avec les déposants des anciennes banques d’Etat, du crédit Mutuel de Guinée et de la BIAG, qui furent remboursés.

Je ne terminerai pas mon intervention sans attirer votre attention, Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement sur le fait que le Peuple  ne comprend toujours pas quelles sont les raisons qui ont, jusqu’ici, empêché l’installation  des institutions constitutionnelles que sont la Cour Constitutionnelle, la Haute Autorité de la Communication et l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains.

Quelles que soient les raisons qui justifieraient ce retard, l’Assemblée Nationale exhorte le Gouvernement à formuler les projets d’amendements des lois organiques relatives auxdites Institutions et à les lui déposer pour examen et adoption.

Honorables Députés,

Encore une fois, la Guinée a rendez-vous avec son destin. Confrontée qu’elle est à la double épreuve d’éradiquer la fièvre hémorragique virale EBOLA et relancer la machine économique pour sortir de la pauvreté. Je crois fermement en une issue heureuse,  car en paraphrasant d’autres voix plus avisées, c’est dans l’épreuve que les Guinéens font preuve de volontarisme et de détermination.

Le budget, les politiques monétaires et budgétaires sont l’instrument dont dispose l’Etat pour réguler la vie économique et sociale.

Je ne doute pas que le projet de budget qui nous est soumis bénéficiera de votre attention soutenue, de vos critiques perspicaces et de vos pertinentes suggestions.

Je reste convaincu que dans l’exercice de cette noble et lourde tâche, nous serons toujours inspirés par notre qualité de Représentant national au service exclusif de notre mandant : le Peuple de Guinée.

C’est sur ces mots que je déclare ouverts les travaux de la Session budgétaire portant sur l’examen et l’adoption de la Loi de Finances Initiale 2015.

Je vous remercie’’.  

 

 

 

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