Le système éducatif guinéen est souvent qualifié de corps malade. A ce sujet, une unanimité semble se dégager. Aujourd’hui, bien que nous soyons divisés sur les réformes éducatives à mener, personne ne s’oppose à l’idée que notre système éducatif soit réformé. L’importance d’un système éducatif performant dans l’élévation du niveau de bien-être des populations, la création de la richesse et de la valeur ajoutée, la lutte contre la pauvreté et les inégalités, la promotion d’une nouvelle forme de citoyenneté, la transmission des valeurs positives n’est plus à démontrer.
Le niveau des élèves, étudiants et même des enseignants guinéens est bas, l’environnement scolaire ne favorise plus l’apprentissage, le modèle de gouvernance scolaire est désuet, les évaluations scolaires sommatives ou finales ne permettent plus d’apprécier les niveaux d’apprentissage et de compréhension des connaissances produites et transmises, pourtant l’éducation est un investissement qui doit avoir une utilité publique et privée. Notre école est aussi politisée. Pis, nous assistons à la marchandisation de la connaissance en raison de la prolifération des écoles privées suite à l’incapacité de l’Etat de couvrir la demande éducative sans cesse croissante et à assurer à tous un enseignement de qualité. L’école de la République se meurt, il n’y plus que les écoles en Guinée : celles des riches et celles des pauvres. Il faudra agir pour favoriser la mobilité sociale, éviter l’aristocratie de la fortune et encourager celle du mérite, éviter également la reproduction sociale et héréditaire et asseoir les fondements de la paix et de la prospérité pour tous.
Les examens nationaux de cette année ont été, comme ceux antérieurs, l’occasion de révéler la face hideuse de notre système éducatif qui ne récompense plus l’effort encore loin le mérite. Les épreuves du Baccalauréat ont été traitées de l’extérieur pour les enseignants recrutés par certains responsables d’école et puis partagé à travers les réseaux sociaux auxquels avaient accès les candidats et candidates connectés sous les regards complaisants des surveillants à qui ils payaient quelques billets. D’autres, dont les étudiants, ont été évalués à la place de vrais candidats. Voilà le mutualisme de la corruption morale et matérielle ! Les efforts d’apprentissage des candidats, les objectifs que s’assignent les autorités éducatives sont sabordés par des âmes malades et bourrelées d’injustice.
Cette fraude monstrueuse savamment orchestrée ne peut conduire qu’à l’indignation et aussi à la révolte. Au-delà, elle invite à la réflexion et aussi à la proposition de solutions. On peut alors suggérer quelques idées : la création d’un Office National des Examens et la suppression du Service National des Examens , la décentralisation des examens par la création des Académies régionales et la régionalisation du Baccalauréat , le renforcement et la révision des critères de sélection des surveillants ; l’activation des mécanismes judiciaires contre les surveillants , les responsables éducatifs impliqués dans les fraudes scolaires, la tenue des enquêtes pour situer les responsabilités après l’interception de certains téléphones lors de Baccalauréat .
Disons-le avec insistance que toutes ces propositions mêmes suivies seraient inefficaces, le mal que vit l’école guinéenne est plus profond. Il est entier. Quelles sont les connaissances qui sont produites ? Quels sont nos programmes scolaires ? Quelles sont les filières dont nous disposons au secondaire ? Il y a-t-il une cohérence entre les programmes du secondaire et du tertiaire ? Quel modèle de gouvernance scolaire disposons-nous ? Favorise-t-il la transparence ? Combien allouons-nous à l’éducation ? Quel est l’état de nos infrastructures scolaires ? Quels sont nos objectifs assignés à l’école ?
Il ne faudra pas croire qu’il suffirait juste d’améliorer les méthodes d’évaluation et faire plus de rigueur lors des examens nationaux pour que notre système éducatif devienne performant. Il faudra aussi revoir le contenu des programmes d’enseignement, diversifier les filières, améliorer la formation des enseignants et réviser leurs critères de sélection, augmenter la part des dépenses allouées à l’éducation, revoir le modèle de gouvernance donc dépolitiser l’école. Il faut donc recueillir un consensus sur les réformes éducatives essentielles. La quête de ce consensus exige d’appeler aux « Assisses Nationales de l’Education » pour :
- Bâtir un consensus vrai, fort et sincère au sujet de notre système éducatif et des réformes essentielles à opérer,
- D’établir un diagnostic, interne et externe, sans complaisance du système éducatif guinéen,
- Définir des objectifs nouveaux, de nouvelles stratégies éducatives à même de satisfaire les contraintes auxquelles est confrontée l’école guinéenne,
- Définir un calendrier de réformes et les modalités de sa suivi-évaluation.
Une telle approche se voudra holistique, inclusive et participative et aura la vertu de réduire les réticences et oppositions au changement. A ces Assises, il faudra y convier : les ministères en charge de l’éducation, de la culture, des Finances et du Budget, les responsables éducatifs de l’enseignement public et privé, les organisations de la société civile, les partis politiques, les associations de parents d’élèves, les syndicats et aussi les partenaires techniques et financiers. Les Assises Nationales de l’Education doivent être placées sous les auspices du Premier ministre, Chef du gouvernement.
Ibrahima SANOH, citoyen guinéen