Censure

Soumission, Servitude et Pouvoir à la cour de l’UFDG (Par Ousmane Boh Kaba)

La polygamie est explicitement interdite en Guinée. Il serait puéril de croire qu’il suffit de décriminaliser la polygamie pour éliminer tous les problèmes qui y sont liés.
L’article 319 du code civil guinéen est catégorique : « L’officier de l’état civil qui ne se conformera pas aux dispositions relatives à l’interdiction de la polygamie sera poursuivi en correctionnelle et puni des mêmes peines que celles prévues à l’article 318 du présent code.» Ce dernier article prévoit une peine d’emprisonnement de 5 à 10 ans pour « tout époux (homme ou femme) qui contreviendra aux dispositions des articles 315 et 316 ».

La polygamie accentue l’inégalité entre les femmes et les hommes. Elle légitime l’appropriation du corps des femmes et des jeunes filles et renforce la subordination des femmes, les contraignant à la soumission totale à leur époux. Peut-on aimer plus l’un de ses enfants qu’un autre ? Et un homme pourrait-il aimer de la même manière plusieurs femmes?
Pourtant, voici ce qui a été diffusé dans la presse le 29 mai 2017 par Madame Hadja Halimatou Dalein Diallo.

« À l’attention de l’opinion.
Suite aux différents commentaires et sollicitations suscités par le nouveau mariage de mon cher époux, Elhadj Cellou Dalein Diallo, président de l’UFDG et chef de file de l’opposition guinéenne, en tant que femme musulmane, je vous informe que c’est de commun accord que ce mariage a eu lieu. Je profite d’ailleurs de l’occasion pour réaffirmer tout mon soutien à mon cher époux, notre leader bien aimé. Et c’est pour cette raison que j’exhorte tout le monde à rester mobilisé pour le combat de l’alternance qui est notre défi à relever. »

Dans les faits, nos filles n’ont pas le choix, ni de marier un homme qui l’est déjà, ni que celui-ci prenne une autre épouse. Mariées jeunes, sans études, leur liberté et leur autonomie sont grandement restreintes.

La santé physique et mentale de nos sœurs vivant dans un mariage polygame est lourdement affectée, notamment par les grossesses nombreuses, la solitude et la détresse, l’anxiété et le stress, la dépression, les symptômes de stress post-traumatiques.
Violences physiques et psychologiques, abus sexuels à l’égard des femmes et des enfants, conflits et rivalités entre coépouses et entre les enfants de chacune d’elles, voilà à quoi ressemble le quotidien des foyers polygames.

Un mari polygame peut avoir jusqu’à une dizaine d’enfants. Le contrôle des naissances n’existant pas, cette situation conduit le père à se désinvestir envers ses enfants, rendant la famille plus dépendante des services publics, de l’assistanat et de la mendicité.
Le déséquilibre lié au grand nombre de femmes pour un même époux prive bon nombre de jeunes hommes de la possibilité de se marier et de fonder leur propre famille. Ce phénomène encourage la traite des femmes et le mariage des jeunes filles mineures.

Si le fait de s’engager dans une union multiple relève d’un « choix personnel », le plus souvent celui des hommes, ses conséquences sont collectives. Loin d’être anodine, cette décision a un effet structurel sur l’ensemble d’une société en plus de contribuer à nier les droits et la dignité des femmes.

La femme n’a pas droit de choisir, ni d’exprimer son ressenti. De plus, il faut souligner que la polygamie, contrairement à l’infidélité, est fondée sur une relation asymétrique, y compris des obligations conjugales contraignantes.

Certains soutiennent que lutter contre la polygamie, c’est contrevenir aux textes sacrés de l’islam. Mais peut-on trouver dans le Coran des prescriptions correspondant à un Code de la famille, ou un statut de la femme ? Il n’y a pas dans le Coran un code bien établi, qui soit aussi clair, explicite, que celui auquel se réfèrent certains musulmans. Les hommes ne fabriquent-ils pas leur coran ?

Il est vrai que, pour nous, croyants musulmans, Dieu parle dans le Coran. Par définition, si Dieu est omnipotent, omniscient, s’il peut tout, fait tout, sa parole est inépuisable. En revanche, le Coran est contingent, fini, il est figé dans l’histoire, il est transmis dans une culture. Cela veut dire qu’il y a là une manière de laisser place à l’interprétation des hommes. Donc, les quelques passages dans le Coran, qui seraient rudes contre la femme, ne sont à prendre de nos jours que comme une jurisprudence – d’origine divine pour ceux qui croient – à un moment donné de l’histoire, pour une société particulière qui se trouve être la société tribale dans la péninsule arabique au VIIe siècle. Vouloir donner une valeur évolutive, normative, universelle à ce qui est contingent et fini, et articulé dans l’histoire, c’est une erreur grave. Ces passages du Coran qui, pris tels quels, sont contre la femme, on ne peut les intégrer dans le grand œuvre social de ce début de siècle. Simplement, il faut dire qu’ils tombent en désuétude. Leur incidence sociale est caduque. Ce à quoi ils font allusion est obsolète. De nos jours, par exemple, on ne peut pas demander sérieusement qu’en cas de témoignage devant la justice, il faut qu’il y ait deux femmes pour un homme. C’est une atteinte gravissime à la dignité de la femme.

Que répondre à ceux qui prétendent s’appuyer sur les textes sacrés, la tradition islamique, pour dire que la femme n’est pas l’égale de l’homme ? Ou bien qu’elle «doit obéir à l’homme» ?

Obéir à quoi et pour quoi ? ! Pourquoi voudrait-on qu’il y ait au sein du couple une relation de dominant à dominé, un donneur d’ordres et quelqu’un qui doive obéir ? Ça n’a pas de sens ! C’est même en contradiction avec la Constitution guinéenne qui prévoit qu’une citoyenne peut postuler à la magistrature suprême. Alors, comment voudrait-on que le plus haut magistrat du pays, le chef des armées, celui qui incarne la nation et l’État, doive obéir, dans les considérations privées et familiales, à un de ses administrés ? Ce n’est pas sérieux. Quant aux textes sur lesquels on se fonde, au niveau ontologique, de l’égalité foncière, véritable, il n’y a pas de différence entre l’homme et la femme. On ne trouve pas dans le Coran que la femme est née de la côte flottante de l’homme, on ne trouve pas qu’elle est tentée, tentatrice à son tour, et on ne trouve pas une théologie qui fait de la femme la cause de tous nos péchés, tous nos maux, etc. En revanche, au niveau statutaire, il y a des passages qui affirment, hélas !, une prééminence de l’homme par rapport à la femme sur certains points : le témoignage, que j’évoquais tout à l’heure, la polygamie et l’héritage. Mais là aussi, il faudrait savoir les relativiser à leur contexte, expliquer pourquoi ils ont été révélés pour leur époque. Ce sont ces passages-là dont, de nos jours, les jurisconsultes machos, sexistes, phallocrates, misogynes, ont pris prétexte pour justifier cette sujétion de la femme. Mais cette façon de plier le religieux pour des considérations psychologiques, personnelles, politiques, sociales n’a pas de fondement légitime au niveau de l’exégèse, de l’interprétation. On a affaire avec des hommes qui veulent assouvir leurs besoins libidineux en se fondant sur le Coran. Il n’y a rien d’autre. Une nation démocratique, moderne, qui croit au progrès, abolit ce genre de choses. Il n’y a pas à vouloir la limiter par la loi – qui doit être une loi relevant du droit positif -, à théoriser sur la polygamie.

Le Coran n’a jamais dit aux hommes : vous avez le droit d’avoir quatre épouses. Ce n’est pas un droit, c’est une virtualité dans un contexte bien particulier. Il est dit : « Dans le cadre de la prise en charge des veuves et des orphelines, il vous est possible d’épouser parmi celles qui vous plairont une, deux, trois ou quatre femmes à condition que vous soyez équitable. Et comme vous ne pourrez être équitable, alors une seule épouse vous est meilleure ; c’est la conduite la plus proche de la justice. Dieu n’a pas placé deux cœurs dans la poitrine de l’homme. Vous ne pouvez être équitable envers vos épouses, même si tel était votre désir le plus ardent. » Voilà les textes qui parlent de cette fameuse polygamie. Trois observations. Un, c’est dans un cadre particulier, la prise en charge des veuves et des orphelines. Deux, dans une société tribale où la polygamie était anarchique, sans limite : par rapport au nombre des femmes de Salomon ou de David, les ramener à quatre, pour l’époque, c’était un progrès spectaculaire. Trois, de nos jours, c’est la stricte monogamie qui doit prévaloir ; on ne peut pas sérieusement continuer à tergiverser en se demandant s’il faudrait assujettir la polygamie au consentement de la première épouse.

Le non-respect des articles de loi met donc hors la loi l’honorable Cellou Dalein Diallo, son épouse et tous ceux qui cautionnent, encouragent et poussent à la polygamie.
Accepteriez-vous que votre petite sœur de 20 ans devienne l’épouse forcée d’un homme de 50 ans son aîné, et qui a déjà une ou plusieurs épouses ? Accepterions-nous que le commerce de la chair humaine prenne le pas sur la dignité humaine et sur les droits des femmes ? Dites NON au recul sociétal !

Ousmane Boh Kaba

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